Faut-il censurer l’Amour fou?
Retour au blogL’actrice de cinéma Nastassja Kinski a joué dans le film « L’Amour fou » en 1977. Lors de ce tournage, elle était mineure, elle avait 15 ans. Dans cette production, l’actrice apparaissait dénudée dans plusieurs scènes. Aujourd’hui, en 2024, elle a mandaté un avocat pour interdire la diffusion des scènes où elle est montrée nue. Son avocat plaide qu’il n’y a pas eu de consentement valable de Nastassja Kinski lors du tournage du film en question, car sa cliente était mineure à l’époque. Ainsi, « elle n’aurait pas pu donner son consentement elle-même. »
Selon l’art. 19c du Code civil (CC), les personnes capables de discernement mais privées de l’exercice des droits civils exercent leurs droits strictement personnels de manière autonome. La capacité de discernement est établie lorsque la personne a conscience de ce qu’elle fait et qu’elle est capable d’exprimer sa volonté en connaissance de cause.
En l’espèce, Nastassja Kinski avait conclu un contrat, et le fait qu’elle se montre nue dans le film faisait partie de ce contrat; le rôle était bien défini.
Est-ce qu’une jeune fille de 15 ans peut conclure ce type de contrat ? Un contrat ne peut être conclu qu’avec le consentement des représentants légaux lorsque la personne liée par le contrat est mineure (art. 19 al. 1 CC). Toutefois, grâce à l’art. 27 al.2 CC qui offre une protection de la personnalité contre les engagements excessifs, il y a toujours la possibilité de renoncer à notre consentement en le révoquant. Mais dans certaines situations, la personne risque tout de même de devoir verser des dommages-intérêts selon l’art. 97 CO. L’effet de la révocation du consentement n’est pas rétroactif, ce qui signifie que l’atteinte devient illicite dès le moment où on retire notre consentement.
Y a-t-il une limite temporelle ? En général, concernant les actions défensives de l’art. 28a CC, il n’y a pas de prescription, mais il faut néanmoins toujours respecter la limite de l’abus de droit de l’art. 2 al. 2 CC
Selon le Tribunal fédéral, lorsque l’atteinte au droit à l’image reste longtemps incontestée (pendant des années voire des décennies) malgré la connaissance de la personne représentée et que la publication de l’image a procuré à l’auteur de l’atteinte de bonne foi un droit acquis précieux, l’exercice ultérieur du droit à l’image peut échouer en raison de l’objection de l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Dans un tel cas, on envisage même la déchéance du droit.
En conclusion, bien que Nastassja Kinski ait des motifs légitimes pour demander la suppression des scènes de nudité, les décennies écoulées depuis la sortie du film et l’absence de contestation antérieure constituent un obstacle juridique majeur. En effet, le principe de l’abus de droit pourrait empêcher la reconnaissance de ses revendications, surtout si la diffusion de ces scènes a été acceptée tacitement pendant de nombreuses années. Le tribunal devra donc équilibrer la protection de la personnalité de l’actrice avec les droits acquis de bonne foi par les producteurs du film.
Véronique Fontana
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