La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Facebook: Vrais amis, faux amis, le Tribunal fédéral a tranché

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05/06/2018 | Articles, Droit civil, Divers

Dans une affaire qui vient d’être publiée, le Tribunal fédéral a tranché la question de savoir si un lien d’amitié Facebook entre une partie et un Magistrat était susceptible d’entraîner la récusation de ce dernier. Un Juge était devenu « ami » sur le réseau social Facebook avec l’une des parties, dans un procès divisant un couple sur la garde de leur enfant. Sans vouloir entrer dans les détails procéduraux de cette affaire, le Tribunal fédéral nous enseigne sur la portée des supposés liens « d’amitié » entretenus sur Facebook entre Juges, parties et éventuellement avocats. Après avoir rappelé que tout justiciable a droit que sa cause soit traitée par un Juge indépendant et impartial, principe résultant des articles 30 alinéa 1er Cst et 6 chiffre 1 CEDH, le Tribunal fédéral a examiné en détail la situation, en reprenant sa jurisprudence la plus récente. Le principe veut que la situation, respectivement le comportement, d’un Juge est critiquable lorsqu’il est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. L’objectif est d’éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie, et ces principes n’imposent pas la récusation uniquement lorsqu’une prévention effective est établie, mais déjà lorsque les circonstances donnent l’apparence d’une prévention. Cela étant, des liens d’amitié ou d’inimitié peuvent en soi créer une apparence objective de partialité, à condition qu’ils soient d’une certaine intensité.   Sur cette base, on relèvera les éléments suivants du raisonnement de notre Haute Cour :

  1. La critique d’une relation personnelle amicale entre une partie et un Juge est en principe moins courante que celle existant entre Juge et avocat. Cela étant, les Juges sont comme tous citoyens soumis à une réalité sociale et y sont intégrés, de sorte qu’ils peuvent y participer, nouant inévitablement des contacts affectifs, familiaux, commerciaux et culturels avec des tiers, voire potentiellement des parties.
  2. S’agissant plus particulièrement des liens d’amitié, ils doivent impliquer une certaine proximité allant au-delà du simple fait de se connaître. Le fait d’être « amis sur Facebook » n’est, selon le Tribunal fédéral, pas assimilable à une relation d’amitié au sens traditionnel. La relation « d’amitié » sur Facebook ne supposerait pas forcément un sentiment réciproque d’affection et de sympathie ou une connaissance intime impliquant une certaine proximité allant au-delà du fait de connaître quelqu’un ou de le tutoyer. « L’amitié » sur Facebook doit s’entendre dans un sens large.
  3. Cette « amitié » sur Facebook attesterait uniquement l’existence de contacts entre des personnes partageant les mêmes centres d’intérêts, et ce cercle peut être extrêmement large. D’ailleurs, plus il est large, et plus l’intensité des relations est réduite. C’est notamment le cas pour des listes d’amis dépassant le nombre de 150 (cent cinquante), qui comprennent des connaissances avec lesquelles l’individu n’entretient en fait aucun contact ou des personnes inconnues.
  4. S’appuyant sur la jurisprudence allemande et française, le Tribunal fédéral a considéré que, sous réserve de circonstances spécifiques, le fait qu’un Magistrat soit « ami » sur Facebook avec une partie n’entraînait pas sa prévention ou une apparence de prévention. Il semble que la jurisprudence belge aille dans un sens différent.

Cette jurisprudence, qui est très vraisemblablement opportune dans le cas d’espèce, est susceptible de poser d’autres questions essentielles, et elle pourrait évoluer au gré du développement des réseaux sociaux et des modes de fonctionnement de ces systèmes. A ce stade, on émettra les réflexions suivantes .

  1. Tout Magistrat détenant une autorité, ou tout Juge serait bien inspiré d’être extrêmement prudent dans ses contacts, notamment sur Facebook, sauf à diluer le risque en ayant un nombre considérable de contacts.
  2. Les conditions, raisons et autres modalités de « l’amitié » Facebook doivent être analysées et scrutées en détail, dès lors que cet élément est susceptible de remettre en cause le résultat de la jurisprudence précitée. En effet, l’on ne peut pas exclure des tentatives de captation d’intérêts, de manipulation et autres problèmes entre magistrats, parties et avocats, via les réseaux sociaux.
  3. L’apparence d’une prévention pour un Magistrat n’est pas exclusivement théorique et dépend de différentes circonstances, mais le réseau social Facebook est l’un des plus connu, et ce qui est « partagé » devrait aussi le cas être analysé, puisque des vidéos, photos et autres messages peuvent être partagés.

Dans cette première manche, le Tribunal fédéral a semble-t-il remis le réseau social Facebook à sa place, en niant indirectement sa puissance, les liens tissés entre ses participants, mais la tendance actuelle pourrait remettre en cause ces principes et restreindre le cas échéant la réalité sociale dans laquelle semble vouloir se mouvoir les juges, magistrats, politiciens et autres personnages publics. Ils seront peut-être un jour, pas si éloigné, rattrapés par la réalité Facebook.

Véronique Fontana

Etude Fontana
Avocat Lausanne

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