La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Climat: nos aînées laissent de glace les juges du Tribunal fédéral

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En 2016 l’Association « Aînées pour la protection du climat » et plusieurs de ses membres, se sont adressées au Conseil fédéral et à plusieurs Départements.

 

Ces autorités étaient interpellées afin qu’elles prennent les mesures nécessaires pour que la Suisse apporte sa contribution à la problématique climatique, en accord avec la convention de Paris sur le climat.

 

Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) n’est pas entré en matière en 2017, ni le Tribunal administratif fédéral, en 2018, ce qui signifie que les questions posées n’ont reçu aucune réponse, sur le fond, de la part des autorités fédérales.

 

Toute la question, posée alors au Tribunal fédéral, était de savoir si les recourantes pouvaient obtenir une décision sur le fond – à savoir si l’Etat doit prendre des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique– comme l’a fait récemment un Tribunal de La Haye.

 

Dans un argumentaire foisonnant, le Tribunal fédéral dans son arrêt du 20 mai 2020, relève que les citoyens peuvent bel et bien exiger de l’Etat qu’il ne commette pas d’acte illicite (en application de l’article 25a de la Loi sur la procédure administrative, PA).

Les citoyens peuvent dénoncer des omissions et demander qu’il y soit remédié.

 

En principe, chaque acte matériel étatique touchant un citoyen peut ainsi faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

Cependant, la procédure administrative ne constitue pas une base légale pour introduire une action populaire, mais sert uniquement à la protection juridique individuelle.

 

Pour agir, les citoyens doivent être suffisamment atteints dans leurs droits par les actions ou omissions des autorités.

 

En l’occurrence, le Tribunal fédéral, dans son arrêt, relève que tel n’est pas le cas des recourantes.

 

L’augmentation de température de deux degrés –objectif de l’accord de Paris– ne peut être atteint qu’à moyen et long terme.

En outre, selon les connaissances scientifiques actuelles, le réchauffement climatique peut être au moins ralenti – le Tribunal fédéral examine alors cette problématique sur la base de travaux scientifiques –  par des mesures appropriées .

 

Cela étant, après un examen particulièrement technique, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que les recourantes ne sont pas touchées dans leurs droits fondamentaux à la vie et au respect de la vie privée.

Certes, elles ont toutes plus de 75 ans (soit 87, 81, 77 et 76 ans) et le Tribunal fédéral admet que les personnes âgées sont plus particulièrement vulnérables au changement climatique et à l’augmentation de température.

 

Mais cela n’est pas suffisant…

Il s’agit, en fait, d’un cas limite, le degré d’intensité de l’atteinte étant difficile à évaluer.

 

Le Tribunal fédéral n’entre malheureusement pas en matière sur le fond…

Toutefois la problématique de fond est quand même très indirectement examinée pour justifier ou nier la qualité pour agir !

 

En principe et face à un doute éclairé, la réponse sur l’entrée en matière et sur l’intérêt au recours devrait être positive !

 

L’autre argument, voulant que les recourantes (personnes âgées), doivent attendre les décisions politiques adéquates dans dix ou quinze ans est spécieux…

On peut ici se poser la question de savoir si des recourantes  plus jeunes, voire toutes les générations, auraient obtenu cette « fameuse » qualité pour agir…

 

En résumé, l’argumentaire ainsi développé, travesti sous des myriades de principes juridiques, est le suivant :

Plus le problème est lointain, moins il est grave, plus les politiques peuvent s’en charger, et donc les citoyens n’ont qu’à attendre…

Au final, leur qualité pour agir est niée.

 

Plus cyniquement, on dit à ces aînées : « c’est trop tôt pour agir, laissez le politique s’en mêler » ou alors :  « pour vous c’est déjà trop tard »…

On l’a bien compris, qu’en renvoyant au politique la problématique, le Tribunal fédéral a fait sienne la phrase culte du moment: « il faut agir aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire »…

 

Dommage que l’on se soit arrêté à la fin de la phrase…

*   *   *

Chaleureuses salutations à nos aînées et courage pour leur pourvoi auprès de la CEDH.

 

Véronique

Avocate

Etude Fontana
Etude d’avocats à Lausanne

 

 

 

Commentaires

4 réponses à “Climat: nos aînées laissent de glace les juges du Tribunal fédéral”

  1. SEROT Benoit dit :

    bonjour, ils ne manquent pas d’air vos décideurs, mais bon on ne peut pas leur reprocher de désirer ne pas couper la branche sur laquelle ils sont assis; j’imaginais quand même qu’en Suisse l’ultra-libéralisme n’avait pas encore gangrené tout, comme ici en France avec un président menteur ne s’intéressant qu’à obéir à ses commanditaires industriels, financiers, etc…tous indifférents donc à faire bouger les choses quant à la défense du climat; je vous propose un lien vers une définition des boomers; vous savez bien, ces gens, plutôt petits vieux, tellement habitués à leurs aises qu’ils n’imaginent pas une seconde s’en défaire; et un autre lien très pessimiste quand à l’écologie repeinte par le capitalisme; les Belles dames élues récemment chez vous vont plancher d’arrache pied sur ces sujets et vous damer le pion à tous ces phallocrates imbus d’eux mêmes , c’est sûr !

    https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lohest/blog/131219/ok-boomer-ou-la-dechirure-dune-insoutenable-vision-du-monde

    «Ok Boomer» ou la déchirure d’une insoutenable vision du monde
    • 13 DÉC. 2019 PAR GUILLAUME LOHEST BLOG : LES INCONNUES
    On peut trouver cette expression géniale, ironique, bien envoyée ou, au contraire, offensante, inappropriée, injuste. Elle est la condensation parfaite d’une déchirure générationnelle plus lourde qu’on veut bien le croire. Analysé ici depuis l’angle des enjeux écologiques, ce “ok boomer” sonne le glas d’une vision du monde illusoire et aussi d’une certaine écologie à la papa.
    https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lohest/blog/131219/ok-boomer-ou-la-dechirure-dune-insoutenable-vision-du-monde

    «Ok Boomer» ou la déchirure d’une insoutenable vision du monde
    • 13 DÉC. 2019 PAR GUILLAUME LOHEST BLOG : LES INCONNUES
    On peut trouver cette expression géniale, ironique, bien envoyée ou, au contraire, offensante, inappropriée, injuste. Elle est la condensation parfaite d’une déchirure générationnelle plus lourde qu’on veut bien le croire. Analysé ici depuis l’angle des enjeux écologiques, ce “ok boomer” sonne le glas d’une vision du monde illusoire et aussi d’une certaine écologie à la papa.

    le dernier documentaire signé Michael Moore et intitulé: « Planète des humains » (« Planet of the humans »). Ce film est disponible:
    . en version française sous-titrée, sur You Tube: https://www.youtube.com/watch?v=ycN3mVW1fow
    . en version originale sur le site officiel du documentaire: https://planetofthehumans.com/

  2. Elie Hanna dit :

    Il s’agit tout de même d’un arrêt essentiel puisque le TF ouvre de nouvelles voies. A l’avenir l’Etat va devoir répondre en dédommageant par exemple pour un crime commis par un sans-papiers relâché dans la nature.

  3. Olivier Wilhem dit :

    Mouais, il ne fait pas bon vieillir et c’est un vieux con qui vous le dit 🙂

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