Droit à l’information contre droit au silence ? Le Tribunal fédéral choisit la transparence
Retour au blogDans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral a eu à trancher la question de l’application de l’article 92a du Code Pénal, qui permet aux victimes et aux proches des victimes au sens de la loi sur l’aide aux victimes (LAVI), ainsi qu’aux tiers, dans la mesure ou ceux-ci ont un intérêt digne de protection, de demander, par écrit, à l’autorité d’exécution des peines, qu’elle les informe du début de l’exécution, ou d’une mesure par le condamné, respectivement de l’établissement d’exécution, de la forme de l’exécution, voire de la libération conditionnelle ou définitive du condamné, respectivement de toute fuite de ce dernier.
A ce sujet, le Code pénal a été modifié avec effet au 1er janvier 2016, suite à une initiative parlementaire qui visait à accorder aux victimes un droit à l’information concernant globalement la détention de l’auteur de l’infraction après la fin de la procédure pénale.
Après avoir examiné l’avant-projet du Conseil fédéral et des commissions des affaires juridiques du Conseil national et du Conseil des Etats, le Tribunal fédéral a relevé que le droit à l’information, concernant la situation de l’auteur de l’infraction exécutant sa sanction, était large, puisque l’autorité « ne peut qu’exceptionnellement refuser l’information si le condamné a un intérêt justifié et prépondérant au maintien du secret ». C’est dire si le droit du condamné à s’opposer à la divulgation d’informations le concernant est limité. En effet, il faut que le condamné justifie d’un intérêt prépondérant, même si le Conseil fédéral avait relevé, à l’époque, que le condamné bénéficiait « du droit fondamental à l’auto-détermination en matière d’information, selon lequel les autorités ne sont par principe pas autorisées à remettre à des tiers des données se rapportant à sa personne ». Il s’agit ici manifestement du droit à l’oubli, qui avait été repris par le Conseil fédéral à l’appui du projet de loi.
En effet, donner des informations sur un condamné constitue une restriction sévère aux droits fondamentaux. Et il faut un intérêt public majeur des victimes et de leurs proches pour recevoir des informations sur l’exécution des peines et des mesures, car ceux-ci doivent « pouvoir se mouvoir librement, c’est-à-dire sans avoir à redouter de croiser inopinément la personne condamnée ».
Dans l’affaire en question, la mère de la victime, considérée comme proche au sens de la LAVI, avait demandé des informations sur l’exécution de la peine purgée par l’une des complices de l’assassinat de son fils. Elle avait justifié sa demande par sa volonté d’éviter de croiser la condamnée, qui pourrait potentiellement résider près de chez elle. Or, la condamnée n’a, selon le Tribunal fédéral, pas justifié d’un intérêt prépondérant permettant de refuser la transmission des informations demandées. Alors même que les deux personnes n’habitent pas dans la même région et ont des lieux de domicile distants de plusieurs dizaines de kilomètres, le risque quasi théorique de confrontation a été admis. En clair, le Tribunal fédéral a considéré que donner des informations sur la condamnée permettait aux proches de la victime d’éviter les environs de son lieu de résidence. Une autre problématique était celle d’un éventuel comportement négatif du proche de la victime à l’encontre de la condamnée ayant purgé sa peine. Le Tribunal fédéral relève qu’une telle exigence ne ressort pas de l’article
92a alinéa 3 CP et ne correspond pas à la volonté du législateur. En outre, d’autres moyens sont envisageables pour limiter le devoir d’information lorsqu’il est établi que la personne ayant demandé des renseignements risquerait de se venger, de s’en prendre physiquement au condamné, d’entraver sa réinsertion professionnelle, ou lorsque, par le passé, le titulaire du droit à l’information aurait utilisé les renseignements de mauvaise foi. La condamnée a tenté d’arguer de la peur de possibles représailles, mais elle n’a pas pu établir cette éventualité.
Le Tribunal fédéral, appliquant à la lettre l’article 92a CP, favorise largement la victime et ses ayant-droits, au détriment de la personne condamnée. Les moyens d’empêcher la divulgation par l’autorité d’informations extrêmement sensibles sont quasiment impossibles à établir, et l’on peut sérieusement douter de l’intérêt des proches d’une victime à connaître les modalités de l’exécution d’une peine. C’est peut-être tenter de faire revivre des situations extrêmement graves, qui ne sauraient être minimisées, la catharsis du temps n’ayant peut-être pas toujours opéré. La pesée des intérêts que l’autorité d’exécution des peines et mesures doit procéder est éminemment difficile, et on conçoit aussi difficilement qu’un condamné, purgeant le cas échéant une peine d’emprisonnement, puisse faire valoir des arguments de défense, alors que la problématique de la confrontation entre proches des victimes est éminemment théorique, l’existence du risque concret apparaissant lors de la libération. Aujourd’hui, le soi-disant besoin impérieux d’information, de transparence est poussé à l’extrême et pourrait rendre la situation encore plus conflictuelle et encore plus dangereuse si, par le devoir d’information, l’on ne se rapprochait pas de l’essence même du condamné, de son acte et de sa reprise de vie sociale. Mais au-delà de ces principes, ne faut-il pas voir dans l’article 92a CP, une véritable double ou triple peine à laquelle le condamné est susceptible de se voir confronté. Parfois, le silence, le recueillement et l’oubli partiel sont des outils prophylactiques fondamentaux, et ont une capacité proche d’une certaine résilience. Bien sûr, personne ne peut forcer une victime à ce choix, peut-être insurmontable !
Véronique Fontana
Avocate
Etude Fontana
Avocats Lausanne
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