La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Je refuse de signer… et tant pis pour toi !

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30/06/2020 | Articles, Droit civil

Dans une affaire qui vient d’être publiée, le Tribunal fédéral avait à trancher la délicate question de la conclusion d’un contrat de remise de commerce, respectivement de pas-de-porte, et des conséquences d’une fin des discussions précontractuelles à cet égard (c’est-à-dire de discussions dans le cadre du projet de la conclusion d’un contrat).

 

Sans entrer dans les détails, des locataires de locaux commerciaux entendaient céder, respectivement transférer leur bail, avec une reprise de commerce, à des tiers. Dans le cadre des négociations, la question de l’accord du bailleur (élément indispensable) s’était posée, tout comme le fait que les parties voulaient un accord écrit. Après différentes pérégrinations, changement de prix pour la remise de commerce, modifications des conditions à l’accord, et tentative de procéder à la signature d’une convention entre toutes les parties (bailleur, locataires et reprenants), l’affaire n’a pas abouti pour les locataires. Ce qui s’est passé, c’est que le bailleur et les nouveaux locataires se sont arrangés directement entre eux, dans le dos du locataire. Dans ce contexte, les locataires ont réclamé des dommages et intérêts aux nouveaux locataires, en considérant qu’ils avaient été bernés dans le cadre des discussions précontractuelles.

 

Le Tribunal fédéral a examiné la problématique de la liberté contractuelle, et plus particulièrement de la culpa in contrahendo, à savoir la violation des obligations précontractuelles.

 

Le Tribunal fédéral a rappelé qu’en vertu du principe de la liberté contractuelle, chacun est libre de commencer des négociations et de les interrompre quand il le veut, même sans justification, en respectant néanmoins les règles de la bonne foi.

 

En effet, ce qu’on appelle la culpa in contrahendo présuppose déjà une relation juridique entre partenaires, qui leur impose en particulier de négocier sérieusement, conformément à leurs véritables intentions. Ainsi, une partie ne peut pas cacher ses véritables intentions, et éveiller chez l’autre l’espoir illusoire qu’une affaire sera conclue. Mais celui qui engage des pourparlers ne doit pas faire croire à l’autre que sa volonté de conclure est plus forte qu’elle ne l’est en réalité…  

 

En conséquence, la partie engage sa responsabilité non seulement lorsqu’elle a fait preuve d’astuce au cours des pourparlers, mais déjà lorsque son attitude a été de quelque manière fautive, qu’il s’agisse de dol ou de négligence, dans les limites tout au moins dans la responsabilité qu’elle encourt sous l’empire du contrat envisagé par les parties.

 

Cela étant, ce n’est que dans des situations exceptionnelles qu’une culpa in contrahendo sera retenue en cas de rupture des pourparlers. En effet, tant la durée des négociations (qui peuvent être très longues), que le coût pour chacune des parties (frais d’analyse, de conseil, de déplacement…) ne sont pas des critères pertinents.

 

Celui qui engage des frais le fait ici à ses risques et périls.

 

Ce qui est critiquable, ce n’est pas d’avoir mis un terme aux négociations, mais plutôt d’avoir tout fait pour créer l’illusion de la conclusion de l’affaire.  

 

En l’espèce, le contrat était soumis à une exigence de forme (forme écrite), puisque les parties avaient échangé différents projets de contrats, sous la forme écrite.

Le Tribunal fédéral relève que lorsque le contrat en vue est soumis à des exigences de forme, une culpa in contrahendo pour rupture des pourparlers sera difficilement admise, dès lors que les règles de forme ont pour but de préserver les parties d’un engagement, afin qu’elles réfléchissent pleinement à leurs actes. En conséquence, la fin des négociations n’entraîne en principe pas de responsabilité, sauf si des éléments particuliers ont nourri la confiance légitime que le contrat serait certainement conclu.

Il est en effet critiquable de donner sans réserve son accord de principe à la conclusion d’un contrat formel et de refuser in extremis, de le traduire dans la forme requise

En l’espèce, les locataires demandeurs avaient obtenu gain de cause en première instance, la culpa in contrahendo (et donc le versement d’une indemnité pour la faute commise) à charge des potentiels reprenants avait été admise, mais sur recours au Tribunal cantonal vaudois, puis auprès du Tribunal fédéral, leur thèse avait été rejetée.

 

*   *   *

 

Ici, on relèvera d’une part qu’il est extrêmement rare et difficile de s’en prendre à un partenaire commercial lors de discussions contractuelles non abouties.

 

Négocier un contrat, âprement, longuement, sur des points objectivement et subjectivement essentiels, ainsi que sur des éléments accessoires, peut durer des semaines, voire des mois, et nécessiter l’implication de différents professionnels, avec les coûts que cela engendre. Dans ces hypothèses, le risque économique et juridique appartient à chacune des parties à la négociation, sans pouvoir facilement s’en prendre à l’autre pour lui faire « payer » l’échec de la conclusion d’un contrat que chacune des parties, à des degrés divers le cas échéant, appelait de ses vœux.

Lorsqu’une forme spéciale est réservée (forme écrite généralement), la difficulté est encore plus grande, puisque poussée à l’extrême, la théorie du Tribunal fédéral démontre que chacune des parties peut refuser, même sans motif objectif, de signer lorsqu’elle est convoquée pour finaliser un accord, déjà intervenu le cas échéant.

Que ce soit en matière immobilière, chez un notaire, en matière de bail à loyer, pour la signature d’un contrat d’achat automobile ou autres, la forme écrite est très souvent réservée, et l’on ne saurait rechercher en responsabilité la partie qui se rétracte in fine.

 

*   *   *

 

Alors si l’on salue ici cette jurisprudence du Tribunal fédéral hyper protectrice des parties, on retiendra cependant que si la liberté contractuelle est quasi-totale, et si la vie sociale
et économique en Suisse connaît de très nombreux contrats d’adhésion (contrat quasiment imposé par l’un des partenaires contractuels, sans véritable possibilité de négociation), ainsi que des contrats sur formules préimprimées qui ne sauraient être négociés, objectivement il reste une part importante de la vie juridique et commerciale dans ce pays où des négociations ont lieu.

 

Chaque partenaire à la négociation d’un contrat sera dès lors bien avisé d’être toujours en éveil et d’être conscient qu’avant que l’encre de la signature d’un contrat ne soit sèche, il y a toujours possibilité pour l’une ou l’autre des parties de se rétracter et de refuser tout accord, même âprement et longuement disputé.

 

Ensuite, les parties étant entrées dans le vaste champ de l’exécution, d’autres périls bien plus conséquents attendent le candidat à la liberté contractuelle !

 

 

 

Véronique Fontana  

 

Avocate

Etude Fontana
Etude d’avocats à Lausanne

Commentaires

6 réponses à “Je refuse de signer… et tant pis pour toi !”

  1. Olivier Wilhem dit :

    Vous avez décidément tous les talents, intelligente autant que brillante, sportive, le sens de l’humour et même celui d’actrice superbe.

    P.S. veuillez bien, chère Véronique, biffer rapidement ce comment. Je le pense, mais vous connaissez sans doute la machisterie dans laquelle on vit, surtout dans la justice vaudoise, comme ailleurs dâilleurs 🙂

  2. Pascal S dit :

    Merci pour ce très intéressant article. J’en retiens qu’il doit quand même être très difficile de faire valoir ensuite le « culpa in contrahendo » si on en est victime.
    Par contre, si un jour je suis dans une négociation avec un partenaire que je sens peu fiable, je ne manquerai pas de lui envoyer une copie de votre article !

    • MABAKA dit :

      Chère Maître,
      Pourriez-vous, svp, me communiquer les références précises de cet article du Tribunal fédéral, afin que je l’intègre dans mon ouvrage (2nde édition en préparation) consacré aux « Grands Principes du Droit. Esquisse d’une typologie des Principes Matriciels du Droit »?

      • Veronique Fontana dit :

        4A_313/2019

      • Olivier Wilhem dit :

        curieux qu’un Mabaka et autre Bamako puisse rédiger un ouvrage, dixit « grands principes du droit » et sans majuscules et vous demande où le chercher?

        autre troll sans bottes, ni sans droit, et encore moins droit dans ses bottes, un ami de suze, probable 🙂

      • Danyel Tinguely, Vésenaz dit :

        Chère Maître,
        Votre honnêteté intellectuelle, en plus de servir et contribuer au « salut » de vos clients, démontre l’ importance d’ un fil conducteur clair, épuré en toute négociation.
        Citoyen lambda à la retraite, sachez que je vais lire et relire votre blog jusqu’à m’ imprégner de votre  » esprit des lois, si seyant et délicat « …
        Mes hommages, danyel

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