La police au-dessus des lois ?
Retour au blogMon interview sur le sujet traité dans le 1245 de samedi dernier : https://www.rts.ch/info/regions/jura/12048199-a-delemont-la-creation-dune-zone-30-kmh-suscite-la-controverse.html
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L’aménagement d’une zone 30km/h en ville, sur un axe desservant la caserne des pompiers et l’hôpital crée la polémique.
En effet, l’artère principale de Delémont permettant d’accéder à la vieille ville, sur laquelle des véhicules d’urgence circulent, fait l’objet d’un projet de limitation générale de la vitesse à 30 km/h dans le but de réduire le bruit du trafic routier.
Tant elle apparaît comme absurde, cette nouvelle réglementation, à titre d’essai pour une durée de six mois, provoque des oppositions virulentes.
En effet, l’aménagement de tronçons importants à 30 km/h dans une ville n’est a priori pas souhaitable; on a pu observer des mesures de ce type, déjà prises à Berne et à Zurich, sur des axes conduisant à des hôpitaux notamment.
En principe, la limitation de vitesse à 30 km/h devrait être réservée à des quartiers d’habitations où il n’y a pas un grand volume de trafic et pour le confort des habitants.
En l’espèce, tel n’est pas le cas.
Or le devoir des autorités est de prendre des mesures destinées à fluidifier le trafic routier et non à l’entraver.
En premier lieu une zone 30 comporte le risque que la hiérarchie du réseau routier ne soit plus respectée et qu’il y ait au final une dispersion du trafic sur toute la zone, au lieu de le concentrer sur un axe.
Or, dans un système urbain qui doit être et rester cohérent, la coexistence entre certains tronçons limités à 30 km/ h et d’autres à 50 km/h est de nature à bouleverser la hiérarchie du réseau routier. Dans une telle configuration, certains automobilistes seront enclins à emprunter les rues résidentielles adjacentes hors zone 30, pour circuler plus rapidement, au lieu d’emprunter l’axe principal allant droit à leur destination.
Dans ce cas, le résultat est que l’aménagement provoquera des embouteillages, sans compter que les transports publics vont rencontrer des difficultés à circuler en raison des obstacles installés sur le tronçon limité à 30 km/h.
Par ailleurs, il est clair qu’avec l’avancement de la technologie et l’augmentation des véhicules hybrides ou électriques, l’effet au niveau de la réduction du bruit du trafic ne sera pas spectaculaire.
En dehors des considérations politiques, ce projet est discordant également pour des raisons juridiques…
Certains travailleurs, notamment les conducteurs de véhicules d’urgence en intervention risquent en effet d’être condamnés pénalement et de perdre leur permis de conduire simplement parce qu’ils font leur travail, s’ils se font flasher à une vitesse d’à peine plus de 50 Km/h sur ce tronçon.
Il est vrai que les pompiers et les ambulanciers bénéficient d’exemptions en cas d’infraction à la Loi sur la circulation routière (LCR) car ils peuvent se prévaloir d’une disposition spéciale de cette loi (l’art. 100, ch. 4 de la LCR) leur permettant de déroger aux règles, à certaines conditions strictes toutefois.
Pour être plus précis, le conducteur d’un véhicule de service du feu, du service de la santé, de la police ou de la douane, qui donne les signaux avertisseurs nécessaires (sirène et feu bleu) et qui observe la prudence commandée par les circonstances n’est pas puni même s’il enfreint les règles de la circulation ou s’il contrevient à des mesures spéciales relatives à la circulation.
Mais pour pouvoir se prévaloir de l’exemption de sanction il faut tout d’abord que le véhicule ait obligatoirement donné les signaux avertisseurs, c’est-à-dire qu’il ait enclenché la sirène et les feux bleus.
De plus, seul un conducteur qui contrevient aux règles lors d’une « course officielle » peut se prévaloir de cette disposition. Il faut donc que la course de service soit destinée à accomplir la tâche du service en question et qu’il ne s’agisse pas d’une course pour la commodité personnelle du conducteur, comme un policier qui se rendrait à son travail par exemple.
Il est évident qu’un ambulancier qui va prendre en charge un blessé ou un malade et qui le transporte à l’hôpital, qu’un pompier qui se rend sur le lieu d’un incendie ou d’une inondation ou par exemple qu’un policier qui poursuit un délinquant ou qui se rend sur les lieux d’une agression agit lors d’une « course officielle ».
Mais il ne suffit pas d’agir « lors d’une course officielle », encore faut-il que la course soit « urgente ». La notice du DETEC et la jurisprudence ont défini ce qu’est une « course urgente » en ce sens qu’il y a urgence lorsque la course a pour but de sauver des vies humaines, d’écarter un danger pour la sécurité ou l’ordre public, de préserver des choses ou des valeurs importantes, ou de poursuivre des fugitifs.
S’il remplit les trois conditions objectives ci-dessus décrites, le conducteur d’un véhicule d’urgence doit encore avoir observé la prudence commandée par les circonstances. A cet égard, plus la règle de circulation violée est importante du point de vue de la sécurité, plus la prudence dont le conducteur du véhicule prioritaire doit faire preuve est grande.
Les circonstances ne sont jamais identiques d’un cas à l’autre. D’où la complexité du sujet. En cas de dénonciation d’un comportement routier ne respectant pas les règles de circulation routière, le juge pénal procèdera à une analyse des critères énoncés plus haut pour déterminer si le conducteur peut être exempté de sanction. Le juge procèdera également à l’analyse du principe de proportionnalité. En pratique, la part d’appréciation laissée au juge est très importante et il arrive que des conducteurs de véhicules d’urgence qui s’estimaient pourtant en situation d’urgence se voient condamnés pénalement et subissent une mesure administrative pour ne pas avoir respecté le code de la route.
Ce qu’il faut retenir est que toute infraction aux règles de la circulation routière constatée, mesurée et dénoncée peut impliquer une condamnation et qu’un policier, ambulancier ou pompier n’est pas automatiquement dispensé de respecter les limitations de vitesses.
Les « petites » infractions sont sanctionnées par une simple amende d’ordre qui peut aller de 40 à 250 francs et qui n’ont pas de répercussions importantes sur le conducteur : pas de menace de prison, pas de retrait de permis.
Mais en revanche, dès 16 km/h de dépassement de la vitesse autorisée en localité le cas est automatiquement dénoncé à l’autorité pénale et administrative.
En cas d’infraction tombant sous le coup de Via Sicura, soit dès que la vitesse dépasse de 40 Km/h la vitesse limite de 30 km/h, le conducteur fautif risque une peine privative de liberté de un à quatre ans. En outre, le véhicule peut être séquestré.
Quant au retrait de permis qui suit, il est de 2 ans minimum. En cas de récidive le retrait est prononcé pour une durée indéterminée. La restitution du permis est généralement subordonnée à des conditions, en principe une expertise psychologique.
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En conclusion, on relève que lorsque des ambulanciers ou des pompiers sortiront pour une intervention urgente, en pleine zone 30, ils seront inévitablement déférés à l’autorité pénale pour être jugés s’ils sont flashés à une vitesse de plus de 45 km/h. Ils devront donc plaider leur cause et invoquer les éléments justifiant leur comportement au risque que l’un des critères exonératifs de responsabilité développés plus haut ne soit pas retenu par le juge, lequel a la liberté d’apprécier la situation différemment, ce qui implique une condamnation pénale et un retrait de permis alors qu’ils faisaient leur travail…
Ceci démontre encore une fois que la vérité et l’appréciation d’une situation peuvent s’avérer extrêmement complexes à appréhender. Ce d’autant plus dans des situations d’urgence qui, au final, après une réflexion a posteriori et à tête reposée, amène à des conclusions totalement opposées.
Mais c’est la gageure de notre temps : réflexion immédiate versus réflexion… tout court ?
Un dilemme qui n’appartient pas seulement au droit mais aussi à la philosophie. Alors mes chers lecteurs, bonne réflexion !
Une injustice faite à un seul est une menace à tous. (Montesquieu).
Véronique Fontana
Etude Fontana
Avocats Lausanne
Excellent article, bravo !
Merci!!!
bravo! introduction, développement et conclusion. Le tout très fouillé et objectif. A se demander à quoi prennent les ayatollah de la voiture qui ne savent plus comment entraver la mobilité autre que cycliste. A ce stade, les piétons eux-mêmes sont menacés par les deux roues qui estiment que tout espace leur appartient en priorité : le 30 km/h est un premier pas vers le 20 km/h qui devient zone de rencontré et non plus chaussée…..merci Maître de vous être penchée sur ces cas inique.
Bonjour Maître,
magnifique article, je n’aimerais plus être urgentiste aujourd’hui!
Après 15 années de feux bleus dans années quatre-vingt, c’était tout de même plus facile avant! Ceci sans compter toutes les futures artères au centre ville qui passeront à 30 km/h ou en zone piétons. Un jour, peut être, ce sera un élu qui sera victime d’un malaise grave et sachant que chaque minute compte, on reverra peut-être la notion d’urgence ou le programme « Via Sicura »
Merci…