La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

L’amour se paie cash

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Quand une relation sentimentale nouée par une ex-épouse peut conduire à la suppression de la pension?

Cette question a été largement débattue dans un arrêt rendu récemment par le Tribunal fédéral.

Dans cette affaire, le divorce avait  été prononcé sur la base d’une convention. Il était prévu une contribution d’entretien en faveur de l’ex-épouse de 3’000 francs par mois. Selon l’accord passé, cette pension en faveur de l’ex-épouse devait diminuer d’une façon dégressive en fonction des revenus qu’elle percevrait si elle reprenait une activité lucrative. A l’époque du jugement de divorce l’épouse ne travaillait pas et avait déjà noué une liaison avec un autre homme.

Cela étant, près de 5 ans plus tard, l’ex-époux qui avait constaté que son ex-femme vivait toujours avec l’homme qui était déjà son partenaire au moment du jugement de divorce, a déposé une demande en modification, concluant à la suppression de la contribution d’entretien.

L’ex-épouse s’est opposée à la suppression de sa pension et a demandé au contraire son augmentation à 3’800 francs par mois.

L’ex-époux a gagné devant les instances cantonales et a été libéré de tout paiement de pension, au motif que la relation amoureuse de son ex-épouse devait être qualifiée de concubinage qualifié et qu’elle constituait un élément nouveau notoire et non prévisible au moment du divorce.

* * *

Le Tribunal fédéral a rappelé les conditions d’une suppression de la pension due à l’ex-conjoint.

Tout d’abord, ce n’est que si la situation d’un des ex-époux  change notablement et durablement que la rente peut être diminuée, supprimée ou suspendue.

Pour qu’il y ait une modification de la pension fixée dans un jugement de divorce, il faut en effet que des faits nouveaux importants et durables soient survenus dans la situation de l’un ou l’autre des ex-époux, qui commandent une réglementation différente. La procédure de modification permet d’adapter un jugement de divorce à de nouvelles circonstances.

Un « élément » revêt un « caractère nouveau » lorsqu’il n’a pas été pris en considération pour fixer la contribution d’entretien dans le jugement de divorce. Ce qui est déterminant ce n’est pas la prévisibilité  des circonstances nouvelles mais exclusivement le fait que la pension ait été fixée sans tenir compte des circonstances futures.

Mais on présume que la contribution a été fixée en tenant compte des modifications prévisibles soit celles qui bien que futures sont certaines ou fort probables.

On peut faire modifier avec succès un jugement de divorce lorsque l’ex-épouse  vit en « concubinage qualifié », c’est-à-dire lorsqu’elle forme avec son partenaire une communauté de vie d’une certaine durée, voire durable,, à caractère en principe exclusif, qui présente une composante tant spirituelle que corporelle et économique, soit une communauté dite « de toit, de table et de lit ».

 

C’est toujours au juge d’apprécier les facteurs déterminants de la relation mais le Tribunal fédéral a toutefois posé la présomption réfragable qu’un concubinage est qualifié s’il dure depuis 5 ans au moins.

Il faut savoir qu’en s’engageant volontairement dans une nouvelle « communauté de destins » l’ex-épouse renonce aux prétentions contre son ex-conjoint, indépendamment de sa nouvelle situation économique. L’existence d’un « concubinage qualifié » entre deux personnes ne dépend en effet pas du tout de leurs moyens financiers mais bien de leurs sentiments mutuels et de l’existence pour eux d’une communauté de destins.

La pension d’une épouse fixée dans un jugement de divorce sera donc supprimée lorsque le  concubinage avec un autre homme est qualifié – c’est-à-dire lorsqu’il a duré 5 ans au moins–  ou lorsque la communauté de vie n’a pas encore atteint cette durée mais présente, en raison d’autres facteurs, une stabilité suffisante.

* * *

Dans cette affaire on relève que lors du divorce l’époux avait pourtant connaissance de la relation qu’entretenait son épouse avec un autre homme. Or la pension pour l’épouse avait pourtant été fixée sans tenir compte de sa relation amoureuse stable. L’évolution de cette relation dans le sens d’un « concubinage qualifié » a été jugée imprévisible, ce qui ne laisse pas d’étonner.

Même si la durée de la relation n’avait tout juste pas atteint 5 ans à l’ouverture de la procédure de modification, les Tribunaux ont décidé de prendre en considération d’autres éléments démontrant sa stabilité, en particulier le fait que les concubins avaient acquis ensemble une propriété immobilière.

Nonobstant la séparation de l’ex-épouse et de son partenaire en cours de procédure, le Tribunal fédéral n’en a pas tenu compte dans son appréciation. Au contraire, il a jugé que cette séparation était factice et organisée en opportunité. Il a également relevé que l’ex-épouse n’avait en outre jamais cherché à se réinsérer dans le marché du travail…

Dans ce cas, le Tribunal fédéral a décidé de la suppression de la pension en faveur de l’ex-épouse, définitivement. C’est le prix de l’amour….

* * *

En conclusion, je constate que les juges misent essentiellement sur la durée d’une relation… Or pour le cœur, c’est l’inverse : Quand on aime quelqu’un, ce n’est pas la durée de la liaison qui compte, c’est tout ce qu’on a ressenti ou fait, et qui ressort de là, intensifié (citation de Alain de Botton).

5A_902/2020

Véronique Fontana

Etude Fontana
Avocats Lausanne

 

Commentaires

6 réponses à “L’amour se paie cash”

  1. Roduit dit :

    Voilà.
    À mon divorce j’avais un copain oui mais chacun son appartement…
    Et depuis ça était toujours comme ça…
    Chacun chez soi, chacun ses factures…

  2. François Wildi dit :

    J’admire l’étique des personnes (femmes ou hommes) qui, 5 ans après leur divorce, n’ont pas cherché de travail, s’achètent un bien immobilier avec un nouveau ou une nouvelle partenaire et continuent d’exiger une pension de leur ex, voir même une augmentation !
    La fausse séparation dans le but de pouvoir conserver l’avantage indu montre bien la bassesse de la personne.

  3. FK dit :

    C’est dommage que le TF n’a pas ordonné le remboursement sur 5 ans de tout ce que la femme a reçu !

  4. Gwaskell dit :

    A l’heure où l’on parle d’égalité, à l’heure où les femmes sont mieux formées professionnellement que les hommes, le principe même des pensions d’entretien apparaît incongru. Si l’un des conjoints se met effectivement au service de l’autre, il faut un contrat explicite incluant la rente en cas de divorce. Trop d’hommes ont dû payer cash leur aveuglement amoureux.

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