La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Le coup de la panne

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19/05/2021 | Articles, Droit pénal

Mais « laquelle » ?… me direz-vous ? …

Celle qui peut toucher le partenaire sexuel masculin lors d’un rapport consentant.

Imaginons deux personnes adultes, majeures et consentantes qui s’apprêtent à entretenir un rapport sexuel. Elles se mettent d’accord sur un seul point : elles entendent faire usage du préservatif. Or pendant leurs ébats, l’homme n’y « arrive plus » et retire son préservatif, afin d’avoir plus de sensation et d’être en mesure de finir ce qu’il a commencé. Quelques instants plus tard, la partenaire s’en rend compte et met fin aux ébats…

Non seulement cette histoire ne s’arrête pas là, puisque la femme en question a décidé de déposer plainte quelques semaines plus tard, mais elle peut avoir une issue judiciaire différente selon que l’on est jugé à Lausanne ou à Zurich.

La pratique consistant à retirer son préservatif sans faire part de ses intentions à sa partenaire a un nom: le « stealthing ». L’un des cas les plus médiatisés avait été jugé en Suisse en janvier 2017 par le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de Lausanne, qui a condamné un homme pour viol à une peine privative de liberté de 12 mois avec 2 ans de sursis en première instance. Sur appel, la peine a été confirmée, mais cette fois-ci l’infraction de viol a été abandonnée au profit de celle d’actes d’ordre sexuels sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

La jurisprudence sur cette question est non seulement rare mais surtout contradictoire.

En effet, d’un côté de la Sarine, à Lausanne, les autorités judiciaires ont condamné un homme alors que de l’autre, ce même comportement a donné lieu à un acquittement. La différence entre ces jugements diamétralement opposés réside dans le raisonnement juridique mené par les juges en charge du dossier.

En effet, l’un des principes directeurs du droit pénal réside dans la maxime « nulla poena sine lege » autrement dit « pas de peine sans loi ».

Et c’est bien là que le bât blesse : notre Code pénal n’a pas envisagé le cas de figure du « stealthing ».

Ainsi les juges vaudois de première et de seconde instance n’ont de leur côté pas ménagé leurs efforts pour faire entrer le « stealthing » dans l’une des définitions des infractions que notre ordre juridique connaît : l’acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance.

Mais le raisonnement des juges romands n’a pas convaincu les juges suisses-alémaniques…

Pourquoi ?

Les juges vaudois ont, de manière très synthétique, estimé que la plaignante n’avait donné son consentement à un rapport sexuel qu’à la condition sine qua non que le partenaire utilise un préservatif, de sorte que s’il ne l’utilisait pas ou plus, il n’y avait plus de consentement, ce qui rendait l’acte punissable pour « viol » ou, en deuxième instance, « d’acte d’ordre sexuel avec une personne incapable de discernement ou de résistance », la victime ne pouvant pas se rendre compte, sur le moment et pendant l’action, que son partenaire était en train de retirer son préservatif.

Quant aux juges suisses alémaniques, ils se sont posé la question du « but poursuivi » par les infractions que l’accusation estimait entrer en ligne de compte pour condamner.

Les infractions pour lesquelles les hommes concernés étaient renvoyés en jugement, à savoir le viol et les actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, ont pour but de protéger l’intégrité sexuelle des victimes et leur libre-arbitre,  soit celui de consentir librement à une relation sexuelle.

Or, dans le cas de figure concerné, lorsqu’une personne demande à son partenaire d’utiliser un préservatif, ce n’est pas pour protéger son intégrité sexuelle mais bien pour se prémunir contre des risques sanitaires, soit le risque de contracter une maladie sexuellement transmissible par exemple ou pour se prémunir contre les risques d’une grossesse indésirable. Ainsi l’utilisation d’un préservatif n’est pas une forme d’acte sexuel en soi, mais bien un moyen de réaliser un acte sexuel comme une relation vaginale, anale ou orale. Et les infractions qui « pourraient » être concernées par l’absence de port de préservatif ont trait à la violation de l’intégrité physique, soit celles des art. 122 et suivants du Code pénal (lésions corporelles) ou encore l’art. 231 de ce Code (propagation d’une maladie de l’homme).

A suivre le raisonnement vaudois…que penser du cas de figure suivant: une personne consent à entretenir un rapport sexuel mais à la seule condition qu’il ne soit pas fait usage d’un préservatif. N’est-il pas absurde de condamner celui qui enfile un préservatif pendant le rapport alors qu’il savait pertinemment que l’autre ne voulait pas qu’il en soit fait utilisation ? …Bien entendu que OUI !…

Il faut également préciser que dans les cas qui ont été jugés, que ce soit sur sol vaudois ou alémanique, les plaignantes n’ont contracté aucune maladie ni fait valoir qu’elles soient tombées enceintes en raison du retrait du préservatif pendant le rapport, de sorte que les infractions protégeant l’intégrité physique ne pouvaient pas trouver application.

Était-il juste dès lors de condamner ces hommes pour des infractions aussi graves que celles qui sanctionnent l’absence de consentement donné par une femme à un rapport sexuel ?

Alors oui, ce n’est pas bien d’enlever son préservatif pendant un acte sexuel, c’est moralement discutable, et on fait ainsi prendre des risques à sa partenaire… Mais de là à ce que ce comportement soit assimilé à une violation de l’intégrité sexuelle, il y a un pas à ne pas franchir trop rapidement.

Le « bricolage juridique » des vaudois a eu pour conséquences que des individus traînent actuellement des condamnations pour des actes d’ordre sexuels sur leur casier judiciaire. Ces inscriptions sont très lourdes à porter et auraient pu être évitées si un raisonnement correct avait été adopté par les autorités concernées…

Malheureusement, aucun cas de stealthing n’a encore été porté par-devant le Tribunal fédéral, qui aurait pu trancher en faveur du raisonnement des juges de l’un ou l’autre côté de la Sarine.

En attendant, si véritablement notre ordre juridique veut sanctionner ce comportement, il est impératif que nos politiques se chargent de cette question en introduisant une infraction spécifique dans notre code pénal puisque, apparemment, de plus en plus de cas de stealthing sont recensés.

La construction des juges vaudois n’est en effet pas juridiquement convaincante et laisse transparaître clairement une volonté de sanctionner coûte que coûte un comportement, en violation du principe garanti par notre Code pénal à son premier article : pas de peine sans loi

 

Alors …sortir couvert c’est bien… mais apparemment plus assez …

Devra-t-on bientôt passer devant un notaire pour faire dresser un contrat ou un acte authentique avant d’oser passer un moment dans les bras de son partenaire,  pour se prémunir contre une éventuelle condamnation ?

…qui sait …

 

Véronique Fontana

Etude Fontana
Avocat à Lausanne

Commentaires

4 réponses à “Le coup de la panne”

  1. Farida Mine dit :

    Votre raisonnement ne tient pas compte du traumatisme psychologique que la femme subie entre le moment où elle se rend compte de l’absence du préservatif et la fin du 3ème mois après l’acte, qui est le temps nécessaire pour savoir qu’elle n’a pas contracté le VIH, doublé de l’autre traumatisme, qui dure pendant quelques jours, au sujet d’une conception d’enfant non-désiré. Les 2 hommes dans ces 2 cas ont eu un comportement grave et inhumain qui nécessite des condamnations fermes et sévères.

  2. CEDH dit :

    Vous êtes mal informée le virus peut être détecté entre le 10ème et le 33ème jour suivant l’infection.
    https://www.cdc.gov/hiv/basics/hiv-testing/test-types.html

    Sans compter que le même test peut être administré au potentiel contaminateur ou à la potentielle contaminatrice immédiatement.

    Mais au fond, quel est le but d’une condamnation ferme et sévère ?

  3. Florence dit :

    Et les hépatites ??

  4. Florence dit :

    Quoiqu’il en soit, les traumatismes peuvent bien être présents.
    Mais là jurisprudence juge t-elle du traumatisme ? Je ne crois pas.
    N’est-ce pas une ruse que de cacher le fait qu’on ait plus de préservatif ou cacher le fait qu’on l’ait enlevé ? Une ruse pour avoir le consentement et la tranquillité pour pénétrer sa victime ?
    N’y a t-il pas suffisamment eu une pénétration sans consentement, une pénétration par ruse lorsque le sexe de l’homme est rentré à nouveau ?

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