La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Mais arrête de filmer ! T’es même pas policier…

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16/10/2019 | Articles, Droit pénal

Une fois n’est pas coutume, le Tribunal fédéral a admis un recours en matière pénale, sans procéder à un argumentaire ou à une exégèse de la loi prenant plusieurs pages.

L’affaire est à priori cocasse, puisqu’il s’agit d’une conductrice reconnue coupable, en première instance, de multiples violations des règles de la circulation routière (110 jours-amendes à fr. 150.- le jour-amende, plus fr. 4’000.- d’amende), sur la base des seuls enregistrements d’une dash cam provenant d’un véhicule …… d’un autre usager de la route.

Dans ses considérants, le Tribunal fédéral a relevé que l’exploitation, comme moyen de preuve, de prises de vue obtenues en violation de la loi sur la protection des données (LDP) n’est pas admissible, lorsque les violations des règles de la circulation routière ne constituent pas des infractions graves.

En conséquence, sur la base de cette loi, les enregistrements par caméra embarquée ont été obtenus en violation des dispositions protégeant la vie privée, et donc l’illégalité a été, ici, sanctionnée.

Le raisonnement tient notamment au fait que la réalisation de prises de vue depuis un véhicule n’est pas aisément reconnaissable pour les autres usagers de la route. Il s’agit donc d’un traitement secret de données au sens de l’article 4 alinéa 4 LPD, constitutif alors d’une atteinte à la personnalité.

Or, le Code de procédure pénale (CPP) règle la possibilité d’exploiter des preuves qui ont le cas échéant été obtenues de façon illégale par les autorités de poursuites.

Mais la question n’a, semble-t-il, jamais été tranchée, de savoir ce qu’il en est, lorsque ces mêmes preuves ont été recueillies par tout un chacun.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral autorise des personnes privées à exploiter ce type de preuve, à deux conditions :

  • D’abord, les moyens de preuve collectés auraient pu être obtenus de manière légale par les autorités de poursuite pénale légitimées,
  • En outre, une pesée des intérêts doit pencher en faveur de leur exploitation.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a considéré que les infractions en cause (des infractions au Code de la route) ne sont pas suffisamment graves pour que le moyen utilisé apparaisse comme légitime.

En effet, l’automobiliste en cause avait été poursuivie pour des violations simples de la Loi sur la circulation routière, et, en partie pour des violations graves. Ces infractions sont passibles d’amendes, voire de peines privatives de liberté.

Le Tribunal fédéral n’a cependant pas évoqué la question de savoir si une exploitation de tels enregistrements à titre de preuve aurait pu être considérée comme licite en cas d’infraction grave.

Cette jurisprudence doit ici être saluée, dès lors qu’elle a pour effet de protéger chaque personne de graves entraves à sa liberté de mouvement, ainsi qu’à sa sphère privée, potentiellement violée par des tiers non légitimés et ne bénéficiant pas de l’autorité publique.

Cela étant, on peut se demander si cette affaire ne pose pas plus de questions qu’elle n’en résout à première vue. En effet, avec l’évolution de la technologie, des innombrables caméras embarquées dans des véhicules, de l’invasion des webcam et autres GoPro (sur pistes de ski et hors-pistes de ski), on peut se poser la question de savoir ce qu’il serait advenu, si la prise de vue d’un quidam était en fait aisément reconnaissable pour les autres usagers de la route ou ailleurs ?

Il en va de même de la question de savoir si de telles preuves auraient pu être collectées de manière légale par les autorités de poursuite pénale, soit par des caméras embarquées dans des véhicules de police (ce qui se fait aux Etats-Unis), ainsi que par le port de caméras sur les casques et combinaisons des policiers en service.

En outre, on se posera la question de savoir quelle est la limite et la typologie des infractions graves ou non.

Mais pour répondre à ces questions, rendez-vous dans quelques années, soit sur un domaine de ski très ou trop largement engorgé (avec ou sans Magic Pass), avec des patrouilleurs de ski équipés de caméras embarquées et de casques munis de GoPro, le tout contrôlé par des hélicoptères ou des drones contrôlant les excès de vitesse des skieurs sur pistes balisées ou non. A côté de cela, sur nos pauvres autoroutes là aussi largement engorgées, lorsque 99.8 % du parc automobile sera intelligent, qu’il n’y aura plus de conducteur actif tant les voitures seront intelligentes, alors il n’y aura bien évidemment plus d’accidents et plus d’infractions à la LCR, et nous vivrons alors dans un monde parfait, sans délinquance, sans crimes et délits, et surtout sans auteurs d’infractions ! Alors, le crypto communisme fera son apparition pour le plus grand bonheur des marchands de cam…  

Véronique Fontana

Avocate

Etude Fontana
Avocat Lausanne

Commentaires

3 réponses à “Mais arrête de filmer ! T’es même pas policier…”

  1. LCR>LPD dit :

    « Cette jurisprudence doit ici être saluée, dès lors qu’elle a pour effet de protéger chaque personne de graves entraves à sa liberté de mouvement, ainsi qu’à sa sphère privée, potentiellement violée par des tiers non légitimés et ne bénéficiant pas de l’autorité publique. »

    Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous concernant la nécessité de protéger la liberté de mouvement de chacun car les règles sur la circulation routière limitent justement cette liberté dans le but de régler le trafic et éviter des accidents. Or, il est impossible pour les autorités de s’assurer de leur bonne application en tout temps et en tout lieu.

    Lorsque l’on constate le nombre de violations quotidiennes qui ne sont pas forcément graves mais néanmoins susceptibles de causer un important préjudice aux autres usagers ou qui constituent des cas de quasi-contrainte, je trouve dommage que l’on fasse primer l’intérêt privé à la protection de la personnalité, ce alors même que les conducteurs ne sont pas reconnaissables sur un enregistrement de dash cam, mais uniquement leur véhicule (il en va évidemment autrement pour les piétons et autres cyclistes…).

    Je suis donc favorable à l’utilisation et à l’exploitation de tels enregistrements privés pour des violations graves, et même moyennes en fonction des circonstances reconnaissables sur l’enregistrement (par exemple un non-respect évident de la distance de sécurité ou un dépassement par la droite).

  2. frederic maximilien dit :

    Bonjour, votre article et la lecture du jugement du TF est basé sur un problème de légitimité à prendre une image d’une infraction visiblement. Par contre cette jurisprudence ne tient pas compte du fait que la personne qui prend l’image, peut elle-même subir un risque d’atteinte à sa vie ou a son intégrité physique par le comportement de la conductrice qui fait une violation simple et grave de la Loi sur la circulation routière.
    Je connais une histoire identique dans le Lavaux oû un quidam à eu le temps de prendre en photo un hélicoptère(!!!) qui lui déversait à plusieurs reprises du sulfate de cuivre à moins de 4 m. Avait t’il le droit de faire des photos d’un acte irresponsable (intenter à l’intégrité physique par arrosage de produits) commis sur un chemin public ?
    Si on suit le raisonnement du TF et bien nous n’avons pas la réponse !

  3. SONZOGNI dit :

    Nous vivons dans un monde nouveau : celui de la non acceptation de règles, quelles qu’elles soient. Si bien que, alors que de telles pratiques soient contestables, elles sont souvent issues de la frustration de constater que les personnes en infraction ne risquent quasi rien ou très peu.
    Une des pistes ne serait-elle pas d’augmenter les peines pécuniaires ou d’arrêts en en cas de mise en danger d’autrui dans tous les cas (braquage, séquestre, mauvais comportement
    routier y compris à vélo. …) ?
    Le rôle de l’avocat en serait plus ardu, mais le cotoyen lambda s’en trouverait moins frustré.

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