Monoxyde de carbone : gaz moutarde ou gaz hilarant ?
Retour au blogDans une affaire récente, le Tribunal fédéral a eu à se pencher sur les éventuelles conséquences pénales de l’utilisation dans un sous-sol et lors d’une soirée d’anniversaire d’un grill à gaz professionnel, dont la combustion des brûleurs avait engendré du monoxyde de carbone, et indisposé plusieurs personnes leur occasionnant des malaises. Les participants à la soirée d’anniversaire ont eu des maux de tête, nausées, voire des pertes de connaissance, certains ayant été hospitalisés…sans que personne ne dépose plainte pénale.
Le Ministère public du canton de Vaud met alors les organisateurs de l’événement en accusation pour emploi de gaz toxique par négligence, et ils sont condamnés en première instance, puis acquittés par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal. Sur recours du Ministère public central du canton de Vaud, le Tribunal fédéral confirme l’acquittement total des organisateurs.
* * *
Sur le plan juridique, on relèvera que l’article 224 CP sanctionne l’emploi d’explosifs ou de gaz toxiques avec dessein délictueux. Quant à l’article 225 CP, il vise les mêmes éléments constitutifs objectifs en l’absence de dessein délictueux, ou en cas de négligence. Ce nonobstant, la question juridique à résoudre en l’espèce était celle de savoir si le monoxyde de carbone (CO), à ne pas confondre avec le dioxyde de carbone (CO2) généré par le grill incriminé, constitue ou non un gaz toxique au sens des articles 224 et 225 CP.
Le Tribunal fédéral a dès lors procédé à l’interprétation large de la définition de gaz toxique. L’interprétation littérale (les termes utilisés) ne permet pas de comprendre, sans ambiguïté, ce qu’il faut comprendre par gaz toxique.
Sur le plan historique, le Tribunal fédéral rappelle que l’origine des dispositions en cause remonte à une loi fédérale de 1894, dont le but était de mettre un frein aux attentats à la dynamite et aux autres agissements criminels des anarchistes. En 1924, l’objectif du Conseil fédéral a été de sanctionner également l’emploi de gaz toxiques, au motif que les progrès technologiques réalisés durant la première guerre mondiale permettaient désormais d’employer certains gaz de façon analogue aux explosifs. En clair, les gaz touchés par les articles 224 et 225 CP sont ceux susceptibles d’être utilisés pour des attaques armées, des attentats terroristes ou d’autres mouvements subversifs.
L’interprétation téléologique (selon le but de la loi) mène à la conclusion que ces dispositions ont pour but de protéger la collectivité contre les risques propres liés aux substances toxiques ou explosives particulièrement dangereuses. Sur le plan systématique, l’objectif est de parer à un danger collectif.
En clair et au final, et indépendamment du fait que la doctrine n’est pas unanime s’agissant de l’interprétation des termes « gaz toxique » au sens des articles 224 et 225 CP, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que la notion de gaz toxique est assez restrictive, et qu’elle comprend uniquement les gaz créés par l’homme, présentant un danger particulièrement élevé et susceptible d’être utilisé pour porter atteinte à des personnes ou des choses, à l’instar des gaz de combat.
Le monoxyde de carbone, que le Tribunal fédéral ne voit pas résulter des progrès techniques datant de la première guerre mondiale, et dont personne ne peut raisonnablement prétendre qu’il pourrait être utilisé afin de s’attaquer à des personnes ou des biens, ne présente pas de telles caractéristiques.
En effet, toute autre interprétation de la notion de gaz toxique, telle que préconisée par le Ministère public vaudois, conduirait à considérer comme substance susceptible d’entraîner l’application des articles 224 et 225 CP tout gaz qui, indépendamment de ses propriétés, de sa dangerosité et de son origine pourrait – en raison d’une intervention humaine – remplacer le mélange vital nécessaire à la respiration dans un espace déterminé. Manifestement, le Législateur n’a jamais voulu aller dans ce sens.
* * *
Certes, la conclusion de cette affaire, au-delà de son côté anecdotique, laisse apparaître l’évolution potentiellement considérable de dispositions pénales promulguées au 19ème siècle, voire au début du 20ème siècle.
Il existe une quantité considérable de produits chimiques et gaz toxiques qui peuvent être utilisés à des fins d’attaques, à des fins militaires, voire à l’encontre d’opposants politiques, que ce soit par des Etats ou par des tiers mal intentionnés.
Parallèlement à ce qui précède, des gaz tels que le monoxyde de carbone, peuvent avoir des conséquences létales, mal utilisés dans des espaces confinés ou peu ventilés, avec des conséquences similaires aux gaz de combat. Ici, la seule alternative serait que le Législateur crée une base légale spécifique pour empêcher l’émergence d’un risque collectif, notamment l’utilisation de grills, barbecues et autres dans des espaces fermés, avec toutes les conséquences négatives qui en découlent.
Là n’est cependant pas l’objectif premier du Législateur semble-t-il. Et les participants bien malheureux à l’anniversaire incriminé, n’ont certes pas été touchés par un gaz moutarde, innervant ou paralysant, et le seul gaz auquel ils s’attendaient peut-être est le gaz hilarant, à savoir le protoxyde d’azote (N2O). Il s’agit d’un gaz incolore, ayant une odeur et un goût légèrement sucré, et utilisé en anesthésie, chirurgie et odontologie pour ses propriétés anesthésiques et antalgiques. Il a aussi un caractère euphorisant, d’où son usage comme drogue récréative hallucinogène.
Là aussi, une analyse littérale, téléologique et systématique aurait pu être d’un grand secours aux magistrats ayant eu à traiter de cette affaire … qui heureusement se finit presque bien … pour ne pas dire dans l’hilarité générale … dont on espère que le Législateur ne réprimera pas les excès … avec ou sans masque.
Votre très dévouée, réjouie et parfois euphorique
Véronique Fontana
Etude Fontana
Cabinet avocats Lausanne
«Alle Dinge sind Gift, und nichts ist ohne Gift; allein die Dosis machts, daß ein Ding kein Gift sei»
Paracelsus: Die dritte Defension wegen des Schreibens der neuen Rezepte. In: Septem Defensiones 1538. Werke Bd. 2, Darmstadt 1965, S. 510.
Cette citation de Paracelse : «Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison» aurait pu être retenue par les juges des diverses instances.
Une atmosphère à 100% en dioxygène (O2) est mortelle en ce que, brusquement, toute matière assez inflammable peut s’enflammer spontanément et se trouve carbonisée. La catastrophe de l’incendie d’Apollo I et de la mort de ses trois occupants en 1967 en est un exemple. Une atmosphère à 100% en diazote (N2) est également mortelle, par étouffement, d’où le nom allemand « Stickstoff » bien que ce soit un gaz dit inerte. On ne parle pas du dioxyde de carbone (CO2) tout aussi mortel lorsqu’il est présent à plus de 25%. Une valeur limite sanitaire d’exposition maximale de 3% a été fixée pour 15 minutes au maximum. Cela bien que le CO2 ne soit pas une substance chimiquement dangereuse en soi.
Il faut classer le monoxyde de carbone (CO) dans la même classe de dangerosité que l’ion cyanure (CN-), tous deux ayant une très forte réactivité avec l’hémoglobine qui ne peut alors plus fixer l’oxygène, ce qui entraîne la mort par anoxie. Il ne faut pas oublier que le CO est aussi présent dans le tabagisme et lors de feux de forêts, mais qu’il a aussi eu une triste utilisation, entre autres dans les chambres à gaz, à côté du sinistre Zyklon B, donc explicitement comme gaz toxique mortel.
Oui le CO est un gaz toxique dans tous les sens du terme. Le fait d’utiliser un système de combustion du genre barbecue dans un sous-sol est irresponsable, et, selon moi, le maître des lieux n’est pas indemne d’une responsabilité, d’autant plus que les modes d’emploi de ces appareils précisent explicitement la chose. Il a passé outre à cette recommandation écrite en toute connaissance de cause. Bien sûr, ce n’était pas « un emploi de gaz toxique par négligence », mais un usage interdit d’un appareil dangereux.
CP art. 225: « … aura, au moyen d’explosifs ou de gaz toxiques, exposé à un danger la vie ou l’intégrité corporelle des personnes… » A mon avis, les organisateurs n’ont pas « fait usage » de gaz toxiques. Ces gaz toxiques sont issus de la combustion du charbon ce qui n’est pas du tout la même chose que de faire usage. « Faire usage » c’est lorsque la production du gaz est bien antécédente à l’exposition des victimes (quelques jours avant) et non pas simultanée. Pour moi cette confusion est totalement inacceptable!
Il est étonnant que le Ministère Public vaudois s’acharne alors qu’il n’y avait pas d’intention de causer du tort. Y-a-t-il des enjeux de couverture d’assurance qui ont motivé indirectement le recours au TF? qui paye les soins dans un pareil cas; l’assurance maladie, accident ou responsabilité civile?
Excellent coup de projecteur!
« Il n’y a que Maille qui m’aille ».
ou encore
« la moutarde me monte au nez »
On doit sous-estimer la moutarde, bien avant les gaz?
Sinon, que pensez des cites de 4×4, sinon qu’ils auraient une odeur de moutarde!
D’ou sans doute le TF, qui devient de plus en plus infant, a defaut d’infantino:)
(CF, le roi de partis, les democrates de premiere)
merci pour cet avis scientifique!
J’avoue avoir eu le meme reflexe. Mais pourquoi le Ministere Public depose plainte, alors que personne de lese ne ne l’avait fait?
D’ailleurs les leses, tout comme l’organisateur, n’ont pas ete brillants sur ce coup-la, ou pour le moins sans odorat!
Peut-etre est-il temps de mettre le coup de projecteur sur le dit Ministere « Public »?