La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Défendre une cause ou un individu : l’éternel dilemme et l’éternelle confusion ?

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06/02/2023 | Articles

En ma qualité d’avocate très active dans les affaires pénales notamment, je suis depuis des dizaines d’années, et périodiquement, confrontée à des dossiers non seulement médiatiques mais aussi susceptibles de heurter les consciences, les conceptions sociales, en quelques mots la paix sociale.

Il peut s’agir d’affaires de terrorisme, de meurtre ou d’assassinat, d’atteinte grave à l’intégrité corporelle, à des situations parfois sordides où l’horreur et la douleur le disputent à l’abject.

Certains dossiers posent des problématiques émotionnelles extrêmes, des questions de société et surtout des interrogations sur la place de l’homme ou de la femme dans le monde moderne.

D’autres abordent directement ou indirectement les travers de notre civilisation que l’on pourrait parfois qualifier de décadente.

Ce nonobstant, je suis régulièrement interpellée par vous-mêmes chers lecteurs, par des amis, et des connaissances plus ou moins proches, voire même par des membres de ma famille, c’est dire …

-Qui ne m’a pas interpellé pour m’interroger sur les raisons pour lesquelles j’accepte de défendre un délinquant ou un criminel sans scrupules, un violeur multirécidiviste, ou le chef d’un réseau de trafiquants de drogue livrant des kilos de stupéfiants…

-Qui n’a pas tenté de me dissuader de défendre certaines causes prétextant que je n’avais pas à assurer la défense de criminels endurcis, déjà condamnés par la vox populi, qu’il était choquant que j’accepte de défendre de tels dossiers…

-Qui n’a pas tenté de m’identifier à la cause du dossier et m’en a voulu personnellement…

Ici, j’ai toujours eu une position de principe très forte: je ne défends pas des causes mais des hommes et des femmes dans toute leur dimension, sociale, psychologique, humaine, toujours critiquable, parfois choquante et inacceptable …

La délinquance est une source insondable d’analyse…

Si je devais trouver un fil rouge (c’est à vrai dire par trop réducteur) entre ces différentes affaires, je pourrais soutenir que certaines sont parfois malheureusement quasiment perdues d’avance ou presque mais elles ont, en tous les cas, en commun, de ne pas être « politiquement correctes ».

Assassinat, meurtre, viol, actes d’ordre sexuel, trafic de drogue, lésions corporelles, abus sur des mineurs, escroqueries massives…. La population éprouve de l’aversion à l’égard des auteurs de tels actes… et on peut le comprendre et parfois l’accepter.

Cela étant, il faut bien voir que la justice repose sur un équilibre :

– Il y a d’un côté, le procureur, qui soutient l’accusation et intervient « à charge », qui met en avant les circonstances aggravantes.

-Et de l’autre côté, il y a l’avocat de celui qui est assis sur le banc des accusés, qui met en évidence les failles du dossier, qui sort les éléments à décharge, qui met en avant les circonstances atténuantes.

Sans cet équilibre et cette tension, une Justice sereine ne peut pas être rendue qui serait acceptable pour la société.

Selon la Constitution fédérale et la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), quiconque a commis une infraction, grave ou pas, a le droit fondamental de bénéficier d’une défense efficace. En assistant les auteurs de crimes ou de délits en justice, je respecte mes propres convictions ainsi que les règles de ma profession d’avocate.

L’avocat défend un homme ou une femme et non pas les actes qui lui sont reprochés.

Ainsi l’avocat qui défend un voleur n’a pas la vocation d’encourager le vol par exemple… Et ce principe s’applique erga omnes !

De plus si les avocats pouvaient choisir de ne défendre que les prévenus dont ils approuvent les actions, la plupart des criminels n’auraient pas de défenseur et le système ne pourrait pas fonctionner.

C’est pourquoi, en défendant les cas dont on parle ici, je ne renie aucune de mes valeurs. En fait, je ne fais que de m’acquitter d’un devoir de ma profession.

Cela étant le combat politique, éthique, social et parfois exclusivement financier de mes clients ne m’intéresse nullement en tant que tel. Je mets de côté mes convictions propres et je me concentre sur l’analyse approfondie du cas et de la personnalité de l’auteur de crimes ou délits.

En ma qualité d’avocate pénaliste, mon combat à la barre dépasse largement la cause du dossier que je défends.

Si chaque affaire est évidemment différente, si le vécu de chacun de mes clients lui est propre, si les circonstances ne sont jamais les mêmes et si je pratique avec force, détermination et avec un engagement total, ce métier depuis des décennies, c’est parce que le combat –car il s’agit d’un combat– est toujours le même, celui des libertés, celui du droit d’être entendu, et celui d’être jugé par un tribunal impartial.

Ces libertés fondamentales sont essentielles, en particulier en période de crise, pour chacun d’entre nous, par tous les temps, et je l’espère, pour longtemps encore…

Votre très dévouée et très motivée avocate.

Véronique Fontana

 

 

 

 

 

Commentaires

Une réponse à “Défendre une cause ou un individu : l’éternel dilemme et l’éternelle confusion ?”

  1. Hofer Fabienne dit :

    Bravo et respect pour ce bel article qui fair sens.
    Avec mes meilleures salutations

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