La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Consentement ou viol ?

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22/03/2019 | Articles, Droit pénal

Le sujet du consentement est extrêmement vaste en ce sens qu’il est la condition préalable dans pratiquement toutes les interactions sociales.

Je rappelle les domaines les plus connus dans lesquels la question du consentement est primordiale.

Tout d’abord, le mariage.

En effet, le mariage est conclu par le consentement exprimé oralement par chacun des époux. Si après avoir dit « oui », l’un des époux change d’avis et refuse de signer le registre officiel, il est néanmoins marié. S’il veut revenir en arrière, il devra avoir recours au divorce.

Le domaine du consentement est également central dans tout le domaine contractuel.

Pour simplifier, on peut affirmer qu’il n’y a pas de contrat sans consentement réciproque.

Dans le domaine médical, le consentement du patient doit être à la fois libre et éclairé.

J’en arrive enfin au consentement en matière sexuelle, qui est aujourd’hui au centre de l’attention de l’opinion publique après l’affaire Weinstein qui a déclenché mouvement #METOO

En résumé, on peut dire que toute personne doit clairement donner son accord à une activité sexuelle, faute de quoi il s’agit d’une agression poursuivie par le Droit pénal.

Les canadiens ont un joli raccourci pour résumer la question.

Ils disent : « sans oui, c’est non » !

Se pose tout naturellement la question de savoir quelle forme doit revêtir l’accord.

En théorie, c’est très facile.

La personne doit exprimer son accord oralement ou par son comportement, c’est-à-dire par actes concluants.

En pratique, c’est une toute autre affaire.

Chaque cas est différent et le consentement ou son absence doit être déduit des circonstances par l’interprétation parfois hasardeuse des comportements.

On a beaucoup plaisanté sur la forme du consentement, notamment aux USA où la question est encore plus sensible que chez nous.

La question est résumée dans cette image drôle d’une secrétaire présentant à homme assis une liasse de papiers et en lui disant :

« J’ai pris note que vous vouliez dire à Mlle Davis qu’elle a de beaux yeux.

 Vous voudrez donc au préalable remplir les 4 pages de cette formule et vous abstenir de toute action jusqu’à ce que l’exemplaire qui vous revient vous soit vous soit délivré avec la mention accordé dans les limites de la déclaration« .

Evidemment, si ce formalisme était généralisé la question serait beaucoup plus simple.

S’agissant d’interpréter des comportements humains, on est dans une zone grise qu’on pourrait appeler  » le brouillard du consentement« . La zone grise découle du fait que ni le consentement, ni le refus, ne sont exprimés clairement.

Les deux cas les plus fréquents de zones grises, qui peuvent d’ailleurs se combiner, sont :

Soit, la victime nie avoir donné son consentement sans toutefois avoir exprimé son refus.

Ou bien, la victime a donné son consentement à des préliminaires, mais l’a retiré par la suite pour des actes plus intimes.

Lorsqu’il n’y a pas de consentement, ni de refus, la situation est extrêmement délicate.

On peut être tenté d’interpréter l’absence d’opposition, verbale et physique, comme un consentement tacite.

Ce n’est toutefois pas si simple.

En effet, le dicton : « qui ne dit mot consent » ne s’applique pas au consentement en matière sexuelle.

De plus, l’inertie et l’inaction peuvent être des signes d’absence de consentement.

Or, il n’y a pas de recette magique pour interpréter l’inertie ou l’inaction dans un sens ou un autre.

En effet, la passivité de la victime peut avoir diverses origines.

Les psychiatres ont parfois expliqué la passivité d’une victime par un état de sidération.

Cette passivité peut s’expliquer aussi par une forte alcoolisation ou par la consommation de produits stupéfiants.

Mais il ne faut pas perdre de vue que, parfois, l’inertie peut être le reflet d’un tempérament très passif chez une personne consentante.

Il faut encore préciser que le consentement doit être valablement donné, c’est-à-dire par une personne pourvue de discernement et agissant librement.

Le discernement peut être aboli notamment par la maladie, l’influence de l’alcool ou de produits stupéfiants, la faiblesse d’esprit ou encore le jeune âge.

En droit suisse, la majorité sexuelle est atteinte à l’âge de 16 ans. Un enfant de moins de 16 ans ne peut pas donner un consentement valable. Ainsi, toute activité de nature sexuelle avec un enfant de moins de 16 ans est un délit pénal. Toutefois, dans la mesure où la différence d’âge entre les partenaires n’excède pas 3 ans, l’acte n’est pas punissable.

Il y a encore une autre restriction : toute activité sexuelle est interdite avec un mineur qui a entre  16 ans et 18 ans lorsqu’il y a entre les deux partenaires une relation particulière d’autorité ou de dépendance comme la relation entre professeur et élève, patron et apprenti, curateur et pupille, supérieur et subordonné dans une hiérarchie.

Deux exemples tirés de ma pratique montrent bien la complexité des questions soumises à la justice lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité d’un consentement.

Dans le premier cas, une jeune fille de bonne famille âgée de 17 ans, encore vierge, est abordée sur le quai de la gare par un jeune homme, âgé de 18 ans, lequel ne parlait pratiquement pas le français.

Après une brève conversation très basique, le jeune homme embrasse la jeune fille sur la bouche.

Celle-ci se prête au jeu et admettra par la suite avoir été parfaitement consentante.

L’homme suit la jeune fille dans le train et l’attire dans les toilettes du wagon, qu’il ferme à clé.

Pendant 25 minutes, la jeune fille a participé à diverses activités sexuelles.

Elle va faire une fellation au jeune homme, en affirmant par la suite qu’elle y a été contrainte par la force. Puis elle se laisse passivement pénétrer virginalement et analement.

A un moment donné, les deux jeunes gens sont dérangés par quelqu’un qui frappe à la porte des toilettes. Ils en sortent et vont s’asseoir côte à côte dans le wagon.

Les caméras de surveillance montrent que la jeune fille se penche sur son voisin pour l’embrasser sur la bouche.

Un arrêt avant sa destination, la jeune fille demande au jeune homme de descendre du train, ce qu’il accepte de faire.

Alors qu’il est sur le quai, la jeune fille lui fait un signe amical de la main.

Dès que le jeune homme n’est plus en vue, les caméras de surveillance montrent que la jeune fille s’effondre et éclate en sanglots.

Le lendemain, la jeune fille dépose plainte pour viol.

Interrogée par la police, elle admet qu’elle n’a jamais verbalisé  son refus, qu’elle ne l’a pas non plus exprimé par un comportement oppositionnel.

Elle explique son attitude par le fait qu’elle était « tétanisée ».

Cet état l’aurait également empêchée de crier à l’aide lorsque quelqu’un a frappé à la porte des toilettes, de même qu’elle n’a pas sollicité l’aide des passagers lorsqu’elle est allée s’asseoir dans le wagon où se trouvaient pourtant d’autres voyageurs.

Se pose ainsi la question de savoir comment interpréter le silence et l’inaction de la jeune fille.

Consentement ou viol ?

Dans cette affaire, Tribunal criminel a admis le viol. Il a condamné le jeune homme à 10 ans de prison, ramenés à 8 ans en appel.

Un recours au Tribunal fédéral a été rejeté.

Les juges ont considéré que le consentement de la victime s’est arrêté au baiser donné sur le quai de la gare.

Les juges ont en outre considéré que la jeune femme avait été entraînée de force dans les toilettes et qu’elle a ensuite subi passivement les assauts sexuels du jeune homme, sans oser s’y opposer de peur qu’il ne devienne violent et la frappe.

En substance, le Tribunal a jugé que toute l’action du jeune homme procédait d’une violence sous-jacente qui ne laissait aucun choix à la victime. En d’autres termes, la victime avait été mise hors d’état de résister par la pression exercée par les circonstances.

Le Tribunal en a voulu pour preuve le fait que la jeune fille s’est effondrée dès le départ du jeune homme.

En fait, une telle affaire pourrait être jugée dans les deux sens avec des arguments raisonnables.

Le Tribunal a fait un choix à caractère subjectif.

Une des raisons de ce choix est peut-être le fait que la plaignante a été constante dans ses déclarations, alors que le jeune homme a commencé par tout nier, a changé constamment sa version durant l’instruction et n’a finalement avoué qu’il y avait eu des actes d’ordre que devant l’autorité de jugement.

En fait, cette affaire est intéressante car elle regroupe deux cas de figure :

D’abord le retrait du consentement après une première phase consensuelle.

Ensuite, après le baiser consenti, une absence de consentement qui n’est pas exprimée.

Examinons maintenant un deuxième cas tiré de ma pratique :

Un jeune homme et une jeune fille, tous deux dans la vingtaine, sont des amis de toujours, mais sans plus.

Un après-midi, ils se retrouvent dans la chambre du jeune homme, couchés sur le lit pour regarder un film.

Les parents du jeune homme sont dans la pièce adjacente en train de regarder la TV.

Le jeune homme commence à toucher la jeune fille qui ne dit ni oui, ni non.

Le jeune homme la déshabille.

La jeune fille ne l’aide pas à retirer ses vêtements et reste totalement passive.

Une fois la jeune fille complètement déshabillée, le jeune homme quitte momentanément la pièce et laisse la jeune fille seule.

Elle ne profite pas de l’absence du jeune homme pour avertir les parents ou pour s’enfuir.

Le jeune homme revient après quelques minutes et entretient une relation sexuelle complète avec la jeune femme.

Après avoir regagné son domicile, la jeune femme envoie un SMS de reproches au jeune homme en lui disant notamment qu’il aurait dû remarquer qu’elle « n’en n’avait pas tellement envie ».

Cinq mois plus tard, la jeune fille dépose plainte pénale pour viol.

Consentement ou viol ?

Dans ce cas, le Tribunal a acquitté le jeune homme.

Le juge a considéré que la jeune femme n’avait rien fait pour rendre son absence de consentement reconnaissable par le jeune homme.

Elle n’avait notamment rien fait pour alerter les parents du jeune homme, qui étaient dans la pièce adjacente.

Elle n’avait pas profité de l’absence du jeune homme pour fuir.

De plus, en écrivant dans son SMS qu’elle « n’en n’avait pas tellement envie », elle conteste l’intensité mais pas le principe du désir.

Par ailleurs, le fait qu’elle ait attendu 5 mois pour porter plainte n’a pas non plus joué en sa faveur.

 

* * *

 

Il ne faut pas perdre de vue que le consentement est un fait psychologique. Il est donc, par nature, très difficile, sinon impossible à prouver en cas de contestation. Le juge devra rechercher la vérité en interprétant des indices circonstanciels, procédé qui fait la part belle à la subjectivité. C’est donc un des domaines du droit pénal qui présente un risque d’erreurs judiciaires particulièrement élevé.

Un exemple récent illustre bien ce danger. Dans une affaire qui remonte à quelques années et qui a eu lieu dans l’est vaudois, un notable local, très honorablement connu, a été arrêté et placé en détention provisoire sur la base des accusations d’une adolescente, qui prétendait avoir été sexuellement abusée par lui.

La plaignante a fait un récit d’une grande précision en termes de temps, de lieu et de faits, ce qui a convaincu le Ministère public. L’auteur présumé, qui dirigeait sa propre entreprise, a été arrêté devant son personnel. Il n’a eu de cesse de clamer son innocence. L’affaire a eu localement un grand retentissement.

Après avoir passé quelque deux mois en prison, l’entrepreneur a dû son salut au fait que sa « victime » a avoué un jour à sa mère qu’elle avait tout inventé  dans les moindres détails …

 

* * *

 

Il arrive ainsi que la vérité matérielle échappe à la justice, laquelle énonce une vérité judiciaire, qui en fait n’en est pas une.

Il faut rappeler en conclusion la prudence qui s’impose lorsque le sort d’un procès dépend, en l’absence de toute preuve matérielle, du choix fait par le juge entre deux paroles qui s’opposent.

 

Véronique Fontana

Etude Fontana
Avocat Lausanne

Résumé de ma conférence donnée au CHUV le 19 mars 2019 sur la question du consentement

Commentaires

Une réponse à “Consentement ou viol ?”

  1. Olivier Wilhem dit :

    Bah, vous devriez rappeler, en tant qu’avocate, chère Véronique, qu’il vous appartient de prévenir avant toute procédure vos clients des lacunes de la justice, autant de la part « avocat.e » que de la gabegie des Tribunaux, vassaux politiques et corrompus de la mauvaise gestion dudit troisième pouvoir.

    Il est facile de couvrir des honoraires pour après, accuser Paul, Jacques ou Jean II.
    Des gens qui masquent leur inefficacité derrière des astuces de la loi et le copinage, ça suffit!

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