La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Copinage valaisan supposé ? récusation refusée

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29/05/2020 | Articles, Droit pénal

Dans une affaire valaisanne pleine de rebondissements et dont le début remonte à plusieurs années, un accusé ayant été condamné pénalement, s’en est pris à l’indépendance du Procureur général valaisan ainsi qu’à son prédécesseur, demandant leur récusation.

On passera outre les pérégrinations procédurales, politiques, journalistiques et sociales de cette affaire, qui laisse apparaître un conflit larvé entre magistrats, procureurs et avocats valaisans.

L’arrêt du Tribunal fédéral qui vient d’être publié passe ici comme lynx –gros chat– sur braises sur ces considérations, que seuls les initiés du canton peuvent appréhender.

Cela étant, notre Haute Cour précise ici les principes essentiels d’indépendance d’un procureur, et partant les conditions de sa récusation.

En effet, un magistrat est récusable pour l’un des motifs prévu à 56 lettre a à e du Code de procédure pénale, à savoir s’il a un intérêt personnel dans l’affaire, s’il a déjà agi dans la même cause comme témoin ou expert, s’il est marié ou mène une vie de couple avec une partie, s’il en est parent ou allié…

Un magistrat est également récusable selon 56 lettre f du Code de procédure pénale, lorsque d’autres motifs, notamment un rapport d’amitié étroit ou d’inimitié avec une partie ou son conseil sont de nature à le rendre suspect de prévention.

 

Cette disposition légale a la portée d’une clause générale.

Elle correspond à la garantie d’un tribunal indépendant et impartial institué par les articles  30 de la Constitution fédérale et 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Elle n’impose pas la récusation seulement lorsqu’une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée.

Il suffit que les circonstances de l’apparence de la prévention fassent redouter une activité partiale du magistrat.

Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération.

Les impressions purement individuelles d’une des parties au procès ne sont pas décisives.

 

Cela étant, de jurisprudence constante, des liens d’amitié ou une inimitié peuvent créer une apparence objective de partialité, à condition qu’ils soient d’une certaine intensité.

En revanche, des rapports de voisinage, des études ou des obligations militaires communes ou des contacts réguliers dans un cadre professionnel ne suffisent en principe pas.

 

S’agissant plus précisément de la récusation d’un représentant du Ministère public, le Tribunal fédéral rappelle qu’il y a lieu de distinguer à quel stade de la procédure celle-ci est demandée.

En effet,  il incombe au Ministère public – selon l’article 16 al 2 du Code de procédure pénale–  de conduire la procédure préliminaire et de poursuivre des infractions dans le cadre de la phase d’enquête et d’instruction, dans un premier temps, et ensuite de dresser l’acte d’accusation, puis de soutenir l’accusation devant le Tribunal.

 

Dans la phase de l’enquête préliminaire ainsi que celle de l’instruction et jusqu’à la mise en accusation, le Ministère public est l’autorité de la direction de la procédure.  Donc, à ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure, et il est tenu d’instruire non seulement « à charge » mais également « à décharge ».

 

Dans ce cadre, le Procureur est tenu à une certaine impartialité, même s’il peut, provisoirement, adopter une attitude « plus ou moins orientée » à l’égard du prévenu.

Le Ministère public reste ainsi tenu à un devoir de réserve visant à ne pas avantager une partie à la procédure au détriment de l’autre.

 

En revanche, après la rédaction de l’acte d’accusation, ou dans la procédure de recours, le Ministère public devient une partie aux débats et il n’est plus tenu à l’impartialité dès lors qu’il lui appartient de soutenir l’accusation.

Ici, ni la Constitution fédérale (articles 29 et 30)  ni l’art 6 par. 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne confèrent à l’accusé une protection particulière lui permettant de se plaindre de l’attitude du Ministère public.

La morale de cette affaire, s’il y en a une, est polymorphe et dépasse largement les frontières escarpées de notre très cher Valais.

En effet les enseignements de cette affaire sont universels.

Mais ils apparaissent quasiment infranchissables à tout plaideur…. aussi bien assisté soit-il.

Les liens quasi « incestueux » au sein d’un microcosme politico-juridique, aussi confiné soit-il, sont très difficilement appréhendables.

Les cursus professionnels dans le domaine des sciences juridique sont très souvent horizontaux et verticaux, d’aucun passant du barreau à la « magistrature de siège » et au Ministère public. Et vice versa !

Des liens d’amitié, d’inimitié, et de convenance, se tissent ainsi selon les aléas des relations humaines. On appelle ça la carrière…

 

Cela étant, au-delà de ces considérations plus sociales que juridiques, on relèvera l’apparente « schizophrénie » dans laquelle le législateur a projeté les procureurs de tous degrés… et non pas seulement valaisans !

Au stade de la procédure préliminaire et d’instruction, lorsqu’un procureur instruit un dossier, il doit en principe être totalement indépendant et notamment instruire à charge et à décharge en respectant strictement les principes de la légalité.

Ensuite, si ce magistrat n’a pas rendu une ordonnance de non entrée en matière ou de classement, il doit dresser un acte d’accusation (à moins qu’il ne rende une ordonnance pénale et juge le cas lui-même) et là, par un « mécanisme psycho-juridique », il peut et doit même changer de rôle, le cas échant, pour soutenir ardemment et sans concession l’accusation.

 

Les principes ainsi définis, aussi satisfaisants et élevés soient-ils, sont d’une application pratique délicate, tant est forte la pression qu’exerce le législateur sur les procureurs dans leur activité quotidienne.

Leur demander de faire quasiment fi de leurs contacts et cursus professionnels, d’exiger d’eux qu’ils « changent de logiciel » entre la phase d’instruction et celle de la mise en accusation, et qu’ils ne soient que peu perméables aux sollicitations sociales, font d’eux de véritables héros de l’instruction pénale.

Pourtant, ces héros du droit sont confrontés, de plus en plus, comme les magistrats du siège, que ce soit sur les plans civils ou administratifs et pénal, à l’arme nucléaire de la récusation, qui aujourd’hui irradie et perturbe de façon insidieuse les cours de justice de ce pays.

 

Mais pourquoi l’isotope de la récusation a-t-il une vie si longue ? La réponse n’est très vraisemblablement ni auprès du Tribunal fédéral, ni auprès du législateur ….et même pas en valais.

A méditer…

Véronique Fontana

Avocate

Etude Fontana
Avocats Lausanne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires

2 réponses à “Copinage valaisan supposé ? récusation refusée”

  1. Boumourt dit :

    Ce n’est pas pour rien que les procureurs sont assistés de greffiers ou de secrétaires…

    Les avocats et les parties ont trop tendance à personnaliser la rédaction des actes de procédure alors qu’ils sont largement délégués…

  2. Olivier Wilhem dit :

    Une de vos collégues blogueuses nous informe que la digitalojustice est en cours, vous confirmez, chère Véronique?

    Car le Procureur vaudois m’a transmis, via sous-fifresse que, comme il n’y a pas de convention entre la Suisse et l’Uruguay, il était tout simplement impossible (non de faire une vidéo-conférence, quelle horreur), mais de communiquer par e-mail!

    La Suisse est première dans tous les classements, certes :)))))

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