La justice chevaleresque
Le blog de Véronique Fontana

Principe de précaution poussé à son extrême : Le Tribunal fédéral impose des tests d’aptitude à la conduite, même aux piétons !

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Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral confirme une décision émanant des autorités saint-galloises d’obliger une piétonne impliquée dans un accident de la circulation dont elle était la victime, de passer un test d’aptitude à la conduite.

En effet, alors qu’elle avait été renversée par un automobiliste, la piétonne en question avait fait l’objet d’un contrôle d’alcoolémie après les faits, révélant un taux de 1.23 milligramme d’alcool par litre.

Sur la base d’un calcul rétrospectif, cette valeur indiquait qu’au moment de l’accident, la concentration devait atteindre entre
2.65 ‱ et 3.38 ‱, à savoir un pourcentage très élevé.

En effet, selon l’article 15d alinéa 1er litt. a de la Loi sur la circulation routière, l’aptitude à la conduite de la personne concernée peut faire l’objet d’une enquête, notamment en cas de conduite en état d’ébriété avec un taux d’alcool de 1.6  ‱ au plus, ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0.8 milligramme au plus par litre d’air expiré.

Dans cette hypothèse, bien entendu, la personne est conductrice du véhicule incriminé.

Après avoir repris et discuté sa jurisprudence, dans des cas similaires, où l’obligation de se soumettre à une expertise médicale a parfois été admise, mais parfois niée, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que, dans le cas d’espèce, elle était pleinement justifiée.

En effet, on se trouve ici dans des cas particuliers d’ébriété, constatés en dehors de la conduite d’un véhicule automobile, et à la lumière de l’article 15d alinéa 1er LCR, et nonobstant ce que soutient le Tribunal fédéral, la question se pose de savoir s’il existe effectivement une base légale suffisante pour que la police ou les autorités pénales renseignent l’autorité administrative de ces situations.

Cette problématique a notamment trait au respect de la protection des données.

Le Tribunal fédéral a cependant, dans ses arrêts, confirmé (certes en matière de drogue) que des procédures de vérification de l’aptitude et de retrait préventifs fondés sur des faits sans aucun lien avec la circulation routière étaient acceptables.

Il a parfois cependant varié, annulant une expertise médicale qui avait été ordonnée à l’encontre d’un piéton ivre qui causait du scandale sur la voie publique.

Il a aussi annulé une décision de mise en œuvre d’une expertise médicale contre un aubergiste dont l’ivresse de 1.99 ‱ avait été détectée lors d’une intervention à domicile pour des faits de violence conjugale.

Cela étant, depuis quelques années, le Tribunal fédéral devient extrêmement sévère en la matière, confirmant même l’utilisation d’une preuve illicite dans le cadre d’une procédure d’aptitude à la conduite (une prise de sang illicite avait révélé une consommation de méthamphétamines chez un conducteur) au nom de « l’intérêt public prépondérant à la protection des usagers de la route ».

Cela étant, cette quasi dérive, qui n’est d’ailleurs pas voulue expressément pas le législateur, est susceptible de laisser ouverte la porte à nombre d’abus et de situations inacceptables.

Ici, non seulement la protection des données, mais le secret médical sont potentiellement foulés au pied.

Dans le cas d’espèce toutefois, le Tribunal fédéral a retenu comme décisif le fait que les médecins avaient constatés que, nonobstant un taux élevé d’alcoolémie, la piétonne semblait se comporter de manière assez normale, ce qui pouvait subodorer une accoutumance à l’alcool.

Le service des automobiles compétent ayant ordonné une expertise médicale a dès lors eu raison, afin de déterminer si l’intéressée avait ou non un problème de boisson.

Le Tribunal fédéral relève non seulement le taux élevé d’alcoolémie, accompagné de signes légers d’ivresse, mais surtout relève que la personne en question était active dans le domaine des transports, étant notamment titulaire d’un permis poids-lourd.

Cette tendance au « tout sécuritaire » basée sur le sacro-saint principe monolithique de la protection des usagers de la route est ici poussé à son extrême.

L’application des nouvelles normes en la matière, qui prescrivent qu’une enquête médicale assortie d’un retrait préventif doivent être décidés en cas de conduite en état d’ébriété avec un taux d’alcool dans le sang de 1.6 ‱ ou plus amène à des situations inacceptables.

D’ailleurs, lors de la procédure de consultation législative relative à l’introduction de ces normes répressives, la grande majorité des cantons s’était opposée à des valeurs seuils trop basses, qui allaient impliquer une augmentation massive des expertises, ainsi que des problèmes considérables de mise en œuvre.

D’ailleurs, selon différentes statistiques, l’ivresse qualifiée moyenne, notamment dans le canton de Vaud, n’excède pas
1.45 ‱, et cela est une moyenne.

Fixer à 1.6 ‱ la limite inférieure pour intervenir par une enquête médicale apparaît dès lors extrêmement sévère.

Cela étant, la question n’est pas uniquement liée à la sécurité routière, elle a trait au respect par l’Etat des principes fondamentaux de la protection de la personne, de sa sphère privée, du secret de ses données, ainsi que du secret médical; valeurs qui ont une importance au moins aussi grande que celle de la sécurité routière.

Dans ce registre, les principes les plus élémentaires sont bafoués au non d’une sécurité routière poussée à l’extrême, et allant d’ailleurs au-delà du raisonnable.

Comme souvent, la tendance rampante d’un contrôle étatique total amène à des conséquences gravissimes et inacceptables, et peut-être faudrait-il que le législateur reprenne un peu la main, et peut-être même la route, pour corriger les excès d’un régime juridique de plus en plus répressif, qui ne laisse plus aucune marge de manœuvre et a, pour vocation implicite la recherche du Conducteur idéal !

 

Véronique Fontana

Etude Fontana
Avocats Lausanne

Commentaires

2 réponses à “Principe de précaution poussé à son extrême : Le Tribunal fédéral impose des tests d’aptitude à la conduite, même aux piétons !”

  1. Pierre dit :

    « Cela étant, la question n’est pas uniquement liée à la sécurité routière, elle a trait au respect par l’Etat des principes fondamentaux de la protection de la personne, de sa sphère privée, du secret de ses données, ainsi que du secret médical; valeurs qui ont une importance au moins aussi grande que celle de la sécurité routière.
    Dans ce registre, les principes les plus élémentaires sont bafoués au non d’une sécurité routière poussée à l’extrême, et allant d’ailleurs au-delà du raisonnable. »
    Madame Fontana, pouvez vous nous expliquer de manière plus approfondie pour quelles raisons les « principes fondamentaux » que vous mentionnez ont « une importance au moins aussi grande que celle de la sécurité routière » ? Pour ma part, l’intégrité physique des personnes dans l’espace public est un intérêt prédominant et je pense que le Tribunal Fédéral a défendu ici de justes valeurs.
    Cordiales salutations

  2. Dominic dit :

    Au contraire de ce que vous exposez, j’estime qu’une personne qui n’est pas capable de se comporter de manière responsable hors de sa voiture ne le sera pas plus au volant. Le permis de conduire pratique et théorique peut être facilement réussi si l’on se situe dans la moyenne d’une bonne santé physique, en étant capable de lire, écrire et apprendre. Un enfant réunit déjà ces conditions à l’âge de douze ans, il est capable de piloter un karting avec une merveilleuse adresse et de bons réflexes que peuvent lui envier les adultes. Pas de problème sur un circuit balisé où le surveillant rappelle de temps en temps le règlement, prêt à arriver en cas de difficultés. Il en est autrement sur la route où chacun est censé être conscient de ses responsabilités pour lui-même et les autres. Et là… Excusez-moi, c’est bien souvent une piste de jeu ouverte à de grands immatures qui ont leur permis en poche. Ce n’est pas le moniteur d’auto-école qui aura pu les aider à grandir, ni l’examen de conduite pour lequel une évaluation fiable serait impossible. On est ainsi considéré « adulte » dès l’âge de 18 ans, en moyenne… Hors de cette moyenne il y a des nouveaux conducteurs qui perdent rapidement leur permis, puis le reprennent après avoir fait leurs expériences, et une majorité de ceux-ci le conservent. Maintenant je vous parlerai de personnes d’âge bien mûr de l’époque d’avant Via Sicura : Pères de famille, ouvriers exemplaires, ingénieurs, gendarmes, tout ce que vous voulez dans l’échelle des niveaux de réussite sociale ou d’instruction, y compris le degré de responsabilité professionnelle. Des conducteurs qui ont perdu et repris leur permis jusqu’à quatre fois pour cause d’ivresse, tout penauds devant le juge comme un gamin convoqué par le directeur de l’école. Ah quel tableau bien ridicule, qui heureusement est bien moins courant aujourd’hui ! Le grand crétin parfait sous tous rapports, incapable de respecter la vie des autres n’a plus l’occasion de déclarer : « J’ai fait une bêtise, je ne recommencerai plus… » On exige maintenant de lui qu’il démontre son aptitude avant de lui donner une dernière chance sur la route. Nombreux sont ceux qui abandonnent en réalisant ce qu’il en coûtera en efforts et en finances, et c’est tant mieux. C’est bien dans le passé que l’on évaluait les responsables de dégâts sur des critères parfois en grand décalage avec les causes réelles qui conduisent au malheur, et cela pas seulement dans le domaine de la sécurité routière. La manière de juger de l’époque se souciait plus de dresser le portrait de ce que la personne « est », plutôt que de se concentrer sur le tort commis et pourquoi : « C’est un bon père de famille… Un honnête travailleur… Son employeur est content de lui… » Et celui-ci pouvait donner des coups à sa femme, qui étaient déjà considérés plus doux que ceux donnés par le mauvais citoyen qui a bu du vin de cuisine au goulot plutôt que du bourgogne dans un verre propre. J’exagère un peu, bien sûr, mais c’est bien pour rester sur la route qui s’échappe de votre article, où l’on risque de croiser celui qui ne sait pas vivre déjà dans le paysage entier. Je ne crois pas comme vous à des critères d’évaluation « qui n’ont rien à voir » dès l’instant où l’immature a quitté le siège de sa voiture. Les enquêtes ou contrôles que vous dénoncez vont dans le sens de la prévention, le confort de votre vie privée n’en souffrira pas trop si vous faites l’effort de porter un regard sur les victimes de l’alcoolisme et la bêtise des égocentriques sous-développés, ce sont ceux-là qui vous demandent plus de compréhension dans l’approche du problème.

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