La TV à vélo ? Mauvaise voie…
Retour au blogLe temps est à la mobilité douce, preuve en est le développement exponentiel de l’utilisation des véhicules électriques avec les accessoires technologiques qu’ils comportent.
C’est dans ce contexte que le Tribunal fédéral a eu récemment à trancher la question de l’utilisation par un cycliste d’une caméra GoPro, fixée sur son guidon, lors d’un accrochage avec un véhicule automobile qui le dépassait sans prendre les mesures de précautions nécessaires. Il en est résulté un accident à faute exclusive de l’automobiliste reconnu coupable de violations simples et graves de la Loi sur la circulation routière.
Dans la procédure pénale, le cycliste a produit un DVD comprenant l’ensemble de la scène filmée par ses soins.
La question juridique posée est ici celle de l’exploitation des moyens de preuve obtenus illégalement.
Selon l’article 141 alinéa 2 du Code de Procédure Pénale, les preuves administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider les infractions graves.
Cette question n’est pas clairement réglée par la loi pénale mais la jurisprudence admet l’exploitation de ces preuves, pour le cas où elles auraient pu être recueillies licitement par les autorités de poursuite et si une pesée des intérêts plaide pour leur exploitabilité. Seules les infractions graves peuvent justifier l’exploitation de telles preuves qui sont en principe illicites car violant la Loi sur la Protection des Données ou la Protection de la Personnalité assurée par l’article 28 du Code Civil.
En substance, le Tribunal fédéral retient les principes suivants :
- Le respect de la sphère privée est fondamental et il est inacceptable que des faits de la vie privée survenant dans la sphère publique soient diffusés dans le public.
- Personne ne doit se sentir observé en permanence. Ici la caméra du cycliste filmait en continu.
- Les prises de vues ou les enregistrements non reconnaissables pour les autres usagers et qui se font en continu sur l’ensemble du parcours effectué par le conducteur sont particulièrement critiquables et s’apparentent à un système de surveillance de l’espace public, qui doit rester de la seule compétence de l’Etat, à savoir de la police.
- Dans ce contexte, le Tribunal fédéral exclut toute forme de contrôle par des privés quant au respect des règles de la circulation routière.
- Les violations simples de la Loi sur la circulation routière ne sauraient déroger à ces principes ; le niveau de gravité requis pour justifier l’exploitation du moyen de preuve n’étant pas atteint.
En conséquence le Tribunal fédéral considère que l’autorité pénale ne peut en aucun cas exploiter l’enregistrement vidéo réalisé par le cycliste.
Mais alors cela signifie aussi que les rapports de police, les auditions de témoins et autres moyens de preuves doivent être expurgés de toute mention relative à l’enregistrement vidéo litigieux.
Sur le fond le Tribunal fédéral nous apparait avoir entièrement raison.
Il applique strictement les principes du respect de la vie privée, de la protection des données et des compétences de poursuite et d’investigation qui n’appartiennent qu’à l’Etat et non pas aux citoyens.
Sa jurisprudence va d’ailleurs dans le même sens lorsqu’elle limite l’utilisation des caméras de surveillance fixes dans les bâtiments, le cas échéant sous couvert de sécurité.
Par contre, se priver de ces moyens de preuve, à juste titre, pour les réintroduire par un autre biais, est particulièrement délicat.
Dans le cas d’espèce, l’exercice auquel devront se soumettre les magistrats appelés à rejuger cette affaire, les policiers et autres témoins est kafkaïen.
Tous ont vu l’enregistrement vidéo litigieux qui sera retranché du dossier, mais ils devront apprécier la situation sans en tenir compte.
Il faut ici bien deux cerveaux pour faire la distinction et le résultat final pourrait quand même être une condamnation de l’automobiliste incriminé si une appréciation des preuves sans arbitraire arrive au même état de faits.
Ce nonobstant, ne serait-il pas plus justifié de poursuivre plus avant le raisonnement et de considérer qu’en utilisant, tout au long d’une procédure pénale, une preuve illicite, l’accusé devrait purement et simplement être libéré des fins de l’action pénale à savoir être acquitté ?
Si l’Etat est le seul responsable de la poursuite, de la recherche de preuves et de leur exploitation, des erreurs, en tous les cas grossières, de la part de ses agents, devraient leur être imputés à décharge totale du poursuivi.
Peut-être que le Tribunal fédéral ira un jour dans ce sens, pour non seulement protéger la vie privée de tout citoyen même dans l’espace public, mais aussi pour garantir le respect des droits de procédure de ses mêmes citoyens, principe cardinal de l’Etat de droit.
On l’appelle sincèrement de nos vœux afin que ces innombrables enregistrements vidéos privés restent là où ils doivent être, à savoir sur les ordinateurs personnels de leurs utilisateurs ou, à la rigueur, sur les réseaux sociaux, mais en aucun cas, dans les dossiers de police ou de procureur.
Chacun son rôle et surtout chacun sa voie.
Véronique Fontana, une pro qui vous dit GOOOOOO ! 😊
Etude Fontana
Etude d’avocats
référence de l’arrêt: 6B_1282/2019
Raisonnement absurde….Ces « innombrables enregistrements vidéos privés » sont juste la retranscription exacte de la réalité et devraient évidemment être pris en compte.
Bonjour Maître,
Ouah, alors là, chapeau bas, je vous suis tellement dans vos ligne, surtout dans les dernières lignes du dernier paragraphe…
Cordialement
Le problème principal est-il ici que la caméra filmait en continu? L’enregistrement de l’accident aurait-il été recevable/licite si la caméra effaçait systématiquement les données datant de quelques minutes, de sorte que seules les dernières minutes enregistrées soient lisibles?
« …ou, à la rigueur, sur les réseaux sociaux… »
Ceci n’est-il pas contradictoire avec la brillante thèse développée auparavant?
Je pense que oui
Ce qui dérange le TF est l’enregistrement permanant sur la voie publique, mais admettant que la caméra filme et en même temps efface ce qui a été filmé avant la dernière minute (l’usager doit arrêter de filmer juste après l’accident ou la caméra s’arrête automatiquement en cas de choc), je pense que la preuve sera licite !
Voilà typiquement un manque de pragmatisme qui éloigne encore un peu plus le citoyen de la justice. Sous couvert de grands principes on ignore volontairement des preuves à disposition qui dans bien des cas ne seraient les seules disponibles. Un témoignage oculaire est parfaitement recevable alors qu’on sait très bien qu’il sont souvent peu fiables. Par conséquent on a quand même beaucoup de mal à comprendre pourquoi une scène filmée en temps réel ne puisse pas être prise en compte, pour autant que ces prises de vues restent dans le cadre privé tant qu’il n’y a pas de sinistre et que le cas échéant la justice s’assure de l’autenticité du film.
Tout filmer, tout le temps… C’est le début de la fin… Nous ne sommes plus des humains mais des machine a filmer.
De plus un film à l’opposé de ce que l’on pense n’est pas impartial.